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BA1 2006-2007 travaux d'encyclo

9 février 2007

Kant, Schopenhauer, Nietzsche : la possibilité du bonheur

Le bonheur, notion universelle qui renvoie irrémédiablement à l’indicible et n’a de résonance que dans l’ordre du subjectif, se confond dans une pluralité de concepts et moyens d’accession, une infinité de pérégrinations propre à chacun, par les voies des sens ou de la raison, ou toute expérience intraduisible. Cependant n’aurait-il pas un sens ontologique commun, qui au-delà de tout concept, lui assurerait un état immanent au fond de l’être ? D’une manière générale on s’accorde sur la définition renvoyant le bonheur à un état de bien-être absolu procurant en continu un plaisir maximal et permanent. En outre, caractérisons que cette satisfaction complète pour l’être humain est intrinsèquement liée à une pleine conscience de son état. Il y a donc une différenciation importante qui est faite entre le concept de bonheur et ceux de joie, plaisir, gaieté ou euphorie partielle et passagère accompagnant une conscience apathique en perdition. Mais l’idée de la possibilité d’un tel bonheur ne se leurrerait-elle pas d’une vaine utopie ? Serait-il réellement envisageable au sein de notre monde et quelles seraient alors les conditions qu’un tel état exige pour s’acquérir ?

La possibilité du bonheur, comme les moyens et conditions favorisant son accession, ne peut en aucun cas, pour Kant, être déterminée avec certitude. Il est hors d’atteinte de la raison humaine, qui elle-même nécessite l’apport de la sensibilité, dont les variations de ses projections imaginaires selon l’individu le rend inéluctablement vain et illusoire. En effet, Kant conçoit que « le bonheur est un idéal, non de la raison, mais de l'imagination, fondé uniquement sur des principes empiriques, dont on attendrait vainement qu'ils puissent déterminer une action par laquelle serait atteinte la totalité d'une série de conséquences en réalité infinie » . Cette idée de bonheur se fourvoie dans les processus de la pensée, assujettis aux limites de la raison et de la sensibilité humaine, qui le rendent automatiquement imparfait ;  et sa recherche, propre à chaque homme, prenant une multitude de formes vers une infinité d’actions et de buts hypothétiques, rend cet idéal inaccessible. Il n’existe aucun moyen, en agissant sur les conditions extérieures, d’annihiler les souffrances humaines pour assurer à un individu un bonheur envisagé. Inscrite dans les limites phénoménales de l’espace et du temps, aucune satisfaction provoquée par l’imagination ou le raisonnement, pas plus d’ailleurs que dans l’affectation des sens, ne pourrait faire état de bonheur de par sa durée ou son intensité. Les seules éventualités des possibles nécessiteraient dès lors une pénétration au cœur même du nouménal inaccessible à l’être humain comme toute connaissance métaphysique d’après Kant.

Schopenhauer, pessimiste modèle, soutient quant à lui l’idée qu’il existe une méthode dans la contemplation pure permettant à l’homme de saisir la réalité de la chose en soi, d’accéder à une connaissance métaphysique. Il conclut, de cette expérience contemplative, ces quelques mots définitifs : « chacun est heureux, quand il est toutes choses ; et malheureux, quand il n'est plus qu'individu » . En effet, le principe impersonnel de la contemplation esthétique désintéressée anéantit chez l’homme les affectations et souffrances qui résultent de l’individuation de sa conscience. L’objet et son sujet observant se révèlent unis, ne formant qu’une seule et même conscience entièrement remplie de cette contemplation passive, et ne laissant ainsi aucune place aux expressions des illusions de la pensée d’exercer leur emprise. L’individu sera alors pleinement heureux en tant que « sujet connaissant pur, affranchi de la volonté, de la douleur et du temps » , le long d’un exceptionnel instant de répit. Il ne s’agit aucunement ici de cette plénitude durable qu’on attribue à la notion de bonheur. Selon Schopenhauer, nous sommes condamnés, dans le pire des mondes, à être malheureux tout au long de notre vie qui « oscille, comme un pendule, de droite à gauche, de la souffrance à l'ennui » , et il n’existe aucune échappatoire définitive possible à cette condition de malheur inexorable qui caractérise l’être humain et l’entièreté du monde pensé comme volonté. Tout ce que l’homme peut se résoudre à intenter en définitive comme unique moyen de supporter, c’est de faire la négation de ce qui en ce monde le fait souffrir, consentir à démissionner face à l’inéluctable horreur de la vie.

Nietzsche au contraire se veut défenseur d’une pensée affirmative comme entrain de puissance à la subsistance humaine. Cette vie qui revêt des caractères atroces, c’est l’homme qui l’évalue sur base de fondements illusoires et c’est en lui qu’il convient dès lors de redresser les erreurs faussement imputées au monde. L’homme doit s’y engloutir tout entier, élargir sa conscience et éprouver la réalité des choses qui l’entourent et la vie dans sa totalité. On peut récapituler comme le fait Didier Raymond par ces mots : « Chez Kant, la conscience peut atteindre une certaine quiétude dans les rêveries de l'imagination ou dans le jeu des facultés ; chez Schopenhauer, on trouve l'âpre satisfaction d'avoir échappé aux pires épreuves de l'existence. Rien de tel chez Nietzsche pour lequel le bonheur n'a de sens que dans la mesure où il refuse tous les idéaux illusoires et toutes les formes de démission. »  Nietzsche nous enseigne que « l’homme est quelque chose qui doit être surmonté » , l’idéalisme et toute dérive nihiliste par la même occasion. Pour connaître le bonheur vrai, l’homme doit se confronter à la souffrance, combattre et transcender ce qui dans cette vie le détermine et entrave la libre manifestation de son essence. Les valeurs fictives de son passé sur lesquelles il était endormi, et qui proliféraient son malheur, n’ont ainsi plus de répercussion sur l’homme désormais affranchi de son héritage historique. Cessant également d’alourdir son esprit de projets ou contingences futures, l’homme peut vivre pleinement l’instant présent dans l’acceptation totale de tout ce qui est. Sa condition surmontée, l’être humain devenu surhumain, s’est révélé à lui-même, et devient créateur de tout ce sur quoi se porte sa conscience à chaque instant. L’homme ne réagit plus mais agit enfin, et toute la puissance créatrice de son esprit qui demeure léger fait s’estomper les vicissitudes quotidiennes qui ne l’affectent plus et le fait danser au sein d’un monde en perpétuel mouvement où rien ne peut plus altérer sa joie immanente révélée dans son état de plénitude stable désormais atteint.

L’être, libéré de sa souffrance humaine, peut descendre de sa montagne, déserter ses hauteurs solitaires, méditatives ou contemplatives, sans crainte de sombrer dans l’ennui ou de se perdre dans la multiplicité et le non sens des choses qui l’environnent et se confondent dans la continuelle invariabilité de l’intensité parfaite du bonheur vrai. Actif et créateur, il peut, sans s’émouvoir, se mouvoir dans l’allégresse qui se déploie et le submerge dans un ultime instant présent sans cesse renouvelé, au sein d’un monde dans lequel l’espace, le temps et la causalité se sont résorbés, comme l’apparence de son individualité, au coeur même de sa conscience élargie à toute chose et à la vie dans sa totalité jusqu’en son sens originel et principiel. L’objectivation de cet augure au loin se silhouette sous les traits voilés de l’âpre intelligible inintelligibilité de son concept affublé dans l’aspect phénoménal des perceptions factices d’une conscience limitée dans sa situation spatiotemporelle. Et on le sent s’y poindre comme dessein ultime, étant pourtant tout le chemin et tout chemin dans sa multiplicité propre à chaque homme, son aboutissement comme sa genèse, seul point mouvant de migration situé hors de toute étendue et de durée qu’aucune inférence en réalité ne pourra jamais stabiliser dans un concept. Car en finalité, la preuve incommunicable de la possibilité de l’indicible état ne pourra jamais se dévoiler que chez l’homme qui l’expérimente en lui-même.

(1) KANT I., Fondements de la métaphysique des Moeurs, trad. fr. Delbos V, Paris, Delagrave, 1971, p. 132.
(2) SCHOPENHAUER A., Le Monde comme Volonté et comme Représentation, trad. fr. Burdeau A., Paris, Presses universitaires de France, 1966, p. 1098.
(3) SCHOPENHAUER A., Le Monde comme Volonté et comme Représentation, op cit., p. 231.
(4) Ibid., p. 394.
(5) RAYMOND D., « De Kant à Nietzsche : le bonheur des philosophes », Magazine Littéraire, 2000, vol. 389, p. 48.
(6) NIETZSCHE F., Ainsi parlait Zarathoustra, trad. fr. Albert H., Paris, Mercure de France, 1935, pp. 48 ; 63 ; 78 ; 279 ; 280.

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5 février 2007

La conception humienne de la causalité et son rapport à la science.

La conception humienne de la causalité et son rapport à la science.

Pour introduire mes propos, je trouve nécessaire de clarifier la surface couverte par le sujet choisi ainsi que la méthode suivant laquelle le sujet se présentera : je pense que ce thème est très vaste et pourrait être l’objet d’une étude approfondie, tout comme l’ensemble des sujets comparant les domaines scientifiques et philosophiques. Mais de nombreux facteurs rendent une telle étude très complexe et surtout considérable. Notamment la « plurivocité » de la science dans le domaine de la physique qui peut s’appréhender à la fois de manière « classique » et de manière « quantique ». De ce fait, j’ai décidé de limiter mon étude en prenant comme assise, non pas la science, mais la pensée de Hume. C’est donc autour de la conception humienne de la causalité que s’orienteront certains éléments de la science, choisis en coordination  avec l’évolution de la démonstration de la conception de Hume. Cette dissertation ne prétend pas réaliser une comparaison globale de la théorie scientifique et de la notion humienne de la causalité. Elle essaiera, cela dit, de mettre en évidence les différences et similitudes entre les méthodes utilisées et les objectifs à remplir par ces deux domaines. C’est, au final, une confrontation de paradigmes plutôt qu’une comparaison de conclusions.

Avant de débuter l’étude proprement dite, je voudrais encore ajouter que j’ai trouvé intéressant de réaliser un tel rapport car Hume est un philosophe qui a mené ses pensées de manière tout à fait empiriste. Nous pouvons le considérer comme tel pour au moins deux raisons :

  • Lui-même considérait la philosophie comme une science empirique. Et Anthony Quinton[1] ira même jusqu’à écrire qu’il a eu pour ambition « d’être le Newton des sciences morales (ou humaines) »[2].
  • Il est également empiriste au sens plus familier. D’après lui, nos pensées n’ont de véritable contenu et nos paroles ne présentent un sens, que dans le cas où celles-ci sont connectées à des expériences.

Pour commencer, il me semble important de noter que Hume distinguait deux types de relations (toutefois, il introduira par la suite une autre division dichotomique).Celles-ci étant d’une part, les relations philosophiques et d’autre part, les relations non philosophiques. La seconde catégorie comprend l’ensemble des relations naturelles (différentes des idées que l’esprit établit librement par une décision mentale) qui s’établissent spontanément par le jeu de l’imagination associative et une sorte de coalescence involontaire. C’est dans cette seconde catégorie, qui peut se résumer par l’ensemble des choses que l’on connaît « a posteriori », que Hume plaçait la causalité. Mais cette notion de connaissance « a posteriori » reste ambiguë[3].

Pour lui, le statut de cause ou d’effet n’est pas une qualité des choses. Toutefois, pour Hume, la causalité existe sans aucun doute[4] ; elle est même la relation la plus résistante au doute, la plus persistante et la plus universelle. En effet, c’est une relation omniprésente et qui commande l’intelligibilité de tous les rapports de faits, phénomènes ou évènements.

Et elle n’est pas moins indispensable à l’histoire qu’à la physique : une même trame causale permettrait de descendre comme de remonter le cours du temps ; cette idée met en évidence l’importance indéniable de la connaissance de la relation causale, aussi bien pour l’historien que pour le physicien. Et en contrepartie, cela amène Hume à penser qu’il doit exister une nécessité analogue aux lois physiques et à la démarche scientifique de l’historien qu’il pourrait introduire dans sa conception philosophique de la causalité. Cela nous mène à établir un premier rapport entre la méthodologie philosophique humienne et la science ; à savoir, que toutes deux cherchent à établir des lois et principes suite à une démarche expérimentale reposant sur l’observation.

Dans un élan d’interprétation, j’ai imaginé que pour expliquer cette conception, nous pourrions envisager que ses caractéristiques (au nombre de trois) se classent en deux genres différents : tout d’abord, celles qui se placeraient dans une sorte d’ensemble comprenant les particularités purement objectives et ensuite, hors de cet ensemble, la caractéristique relevant entièrement de la subjectivité et qui représente un « ingrédient indispensable » à la notion de causalité. Cette caractéristique est la « connexion nécessaire ». Les deux caractéristiques de l’ensemble sont, quant à elles, la contiguïté spatio-temporelle et la succession. Effectivement, pour Hume, la cause doit être contiguë à son effet, à la fois dans l’espace et dans le temps ; dans le cas contraire, cette cause ne serait pas unique et une (ou plusieurs) autre(s) devrai(en)t s’y joindre pour réaliser l’effet. Hume démontre également que le fait selon lequel la cause précède toujours l’effet est inéluctable. Selon lui, si la cause et l’effet étaient contemporains l’un de l’autre, la conséquence qui surviendrait serait l’ « anéantissement total du temps »[5]. Pour ce dernier point, il précise que son argument peut sembler insuffisant pour le lecteur ; si cela est le cas, il demande de lui accorder la liberté de considérer les choses comme telles. Cela me semble être un exemple d’occurrence où nous pourrions affirmer que Hume se soucie peu de la connaissance scientifique emportant certitude. Considérant que ce point n’a que peu d’importance, il lui parait possible de passer du certain à l’incertain.

Alors que la succession et la contiguïté ne sont pas problématiques empiriquement parlant, la connexion nécessaire semble être générée par des considérations ou des interprétations (conscientes ou inconscientes) entièrement personnelles. Donc, lorsque nous étudions ce qui nous semble être un rapport de cause à effet, la question que nous pourrions nous poser serait « Pourquoi considérons nous qu’il en est ainsi ? » plutôt que « Pourquoi en est il ainsi ? ».

L’objectif de Hume, lorsqu’il étudiait la causalité, n’était pas d’établir une cosmologie ou de déboucher sur le domaine épistémologique, mais plutôt d’envisager une morale humaniste basée sur la compréhension de phénomènes psychologiques. Hume s’éloigne donc de la recherche scientifique de cette théorie causale. Il rend subjective la « connexion nécessaire » par son analyse de la relation de causalité, alors que nous pourrions considérer que la science la décrit comme un fait ou un phénomène objectif représentant le rapport entre la cause et son effet. Mais je pense que cette divergence provient du fait que l’objet d’étude de la science n’est pas le même que celui de la philosophie. Tout en utilisant le procédé, cher à la science, de l’expérimentation par l’observation, Hume nous prouve immanquablement cela. Ainsi, alors que le physicien, le biologiste ou tout autre « Homme de science » se posera la question « Comment … ? » ou encore « Par quel procédé… ? », le philosophe se demandera « Pourquoi… ? » ou « Pour quelle raison… ? »[6].

Après avoir clarifié l’ensemble des caractéristiques de la relation causale, Hume se posa deux questions[7] pour essayer de la rendre plus intelligible et plus précisément, pour tenter de comprendre cette idée de « nécessité » de l’existence d’une cause ainsi que la nature de l’inférence qui nous fait conclure que telles causes particulières doivent avoir tels effets particuliers. Hume déduira de ces interrogations l’idée que seule une impression due à notre imagination peut nous faire affirmer que tel effet est originaire de telle cause ou que telle cause engendrera tel effet ; analysons plus précisément ce deuxième cas : Cette impression, et donc, par extension, l’imagination qui la crée, dépend de notre mémoire des phénomènes expérimentés. Il émet ainsi l’idée que c’est un postulat empirique qui crée la présomption. De ce fait, l’impression, dépendant de la mémoire, crée une croyance en l’effet à venir. Cette croyance, qui est certainement le facteur le plus déterminant dans nos jugements inférentiels, est d’autant plus importante que notre impression est vive. Et la vivacité de l’impression dépend forcément de la ressemblance entre la situation actuelle et la situation passée. L’esprit imagine donc, par un principe d’association entre objets de la pensée, une relation causale. Mais d’après Hume, nous généralisons à tort, car la répétition qui souhaite générer ce qui semble être une conjonction constante, ne permet pas de créer une idée nouvelle. En effet, il paraît impossible de démontrer l’uniformité de la nature. Toutefois, cette fusion des images échappe complètement à la volonté ; elle est une pure construction de l’esprit qui, lui-même, agit comme si la nature était uniforme. Sur ce point, la pensée de Hume n’est pas tellement éloignée des théories scientifiques. Effectivement, tout en élaborant des principes pour expliquer le réel et la nature, la science a conscience que dans de nombreux cas, il existe une probabilité (aussi infime soit elle) d’irrégularité des faits attendus.

Pour terminer cette approche de la notion humienne de la causalité, j’aimerais faire référence à un passage précis de l’un de ses ouvrages : « la simple considération de deux actions ou de deux objets, si fortement reliés qu’ils soient, ne peut jamais nous donner la moindre idée d’un pouvoir ou d’une connexion entre eux, ensuite, que cette idée naît de la répétition de leur union, puis, que la répétition ne révèle ni ne cause rien dans les objets, mais exerce seulement une influence sur l’esprit par la transition coutumière qu’elle produit, et enfin, que, par suite, cette transition coutumière ne fait qu’un avec le pouvoir et la nécessité, lesquels sont, par conséquent, des qualités des perceptions, et non des objets, et sont intérieurement ressenties par l’âme, et non extérieurement perçues dans les corps »[8].

En conclusion, je pense que nous pouvons affirmer que les méthodes expérimentales de Hume sont proches de celles utilisées par la science. Le philosophe et la science ont également pour objectif commun d’établir des principes basés sur des faits observables. Toutefois, l’objet de l’étude de Hume étant différent, il semblerait qu’il n’accorde pas autant de rigueur à la démonstration que la science l’exigerait. A l’instar de la science, Hume a également développer une théorie de la probabilité éclairant l’étude des phénomènes. Celle-ci permet de comprendre l’irrégularité des faits. Mais la grande différence à propos de la causalité semble résider dans l’idée de « connexion nécessaire » : Hume l’étudie en profondeur alors que la science la prend comme un fait. Il semble résulter de cela le fait indéniable que la matière qu’étudie le philosophe porte sur l’interprétation humaine des phénomènes alors que la science tente d’étudier ces mêmes phénomènes de manière objective, et ce, sans tenir compte de l’influence que peut jouer la subjectivité de l’Homme dans la recherche.


(1) Anthony Quinton a présidé le Trinity College à Oxford, jusqu’en 1987 et est, depuis 1991, président de la Royal Institution of Philosophy.

([2] ) QUINTON Anthony, Hume, trad. fr. Christian Cler, Paris, Editions du Seuil, 2000, p. 27.

([3] ) Il semble avéré que pour Hume la connaissance « a posteriori » représente ce que l’esprit connaît après expérimentation et les phénomènes ne sont pas connus pour ce qu’ils sont mais pour ce que l’esprit croit qu’ils sont. La connaissance « a posteriori » n’a donc pas la même valeur que la connaissance « a priori ». Il est indispensable de comprendre ce terme dans la signification que Hume souhaite lui faire prendre.

([4]) Jusqu’au XXème siècle, la plupart des commentateurs ont allégué que Hume contestait la fiabilité des croyances causales et inductives. Bien que ces commentaires ne soient pas incohérents, ils ne représentent pas la pensée profonde de Hume.

([5]) HUME David, Traité de la nature humaine, livre I et appendice, L’Entendement, III, II, trad. fr. Philippe Beranger et Philippe Saltel, Paris, Flammarion, 1995, p. 136.

([6]) J’insiste sur le fait que cela représente une vulgarisation grossière de la réalité et qu’aucune des deux matières ne se réduit à cela. Mais j’utilise malgré tout ce procédé de distinction, dans le but de délimiter l’étendue couverte par leurs études.

([7]) Cf.  ibidem, p. 137.

([8]) Ibidem, I, III, XIV, p. 243.

29 janvier 2007

La conception nietzschéenne de la musique ou la fondation d’une nouvelle éthique de l’existence...

Démal                                                                                  Bruxelles, le 27 décembre 2006

Christophe

(060165-74)

La conception nietzschéenne de la musique ou la fondation d’une nouvelle éthique de l’existence...

            Pourquoi  Nietzsche ? En lisant la sagesse tragique[1], J’ai été touché par le regard presque « compatissant » que Michel Onfray porte sur lui, ou plus exactement par la critique qu’il fait de l’image – tellement négative – que l’histoire à gardée de ce véritable poète de la philosophie. Nombre de ses contemporains s’accordaient d’ailleurs à dire qu’il était : « le plus musicien de tout les philosophes »[2]... c’est donc par ce lyrisme que j’ai trouvé une porte d’entrée dans l’œuvre colossale de ce philosophe ....Je vais maintenant m’attacher à un point en particulier de son œuvre : la musique.Celle-ci constitue le sujet de plusieurs ouvrage dont celui qui m’a guidé dans ce raisonnement : la naissance de la tragédie[3] (1872).

         

         Premièrement: «  qu’est-ce que Nietzsche appelle musique ? » Sa définition nous entraîne dans un voyage à travers les âges, pour nous ramener en plein cœur de la civilisation grecque. Il nous présente le point de départ de sa réflexion au travers de la conception antique des arts et notamment dans une première opposition : celle de l’apollonien et du dionysiaque, qui consiste à séparer les arts plastiques (apolloniens), des arts lyriques (dionysiaques). La musique est donc, pour Nietzsche, un art associé à la conception de Dionysos. En effet, la musique est l’expression des passions et est de ce fait, le fruit de la libération de ces dernières, ce qui est permis par l’ivresse dionysiaque. Et il ajoutera que, venant du plus profond des hommes, elle ne peut que générer des images chez eux.

         

         D’ailleurs, en Grèce, elle aurait engendré les mythes tragiques (représentation symboliques de la sagesse dionysiaque). Il est légitime de s’interroger sur cette sagesse ? Pour Nietzsche, le fait que la tragédie nous montre à travers la mort du héros la puissance de la vie est la traduction de cette sagesse dionysiaque. Ce raisonnement met en exergue le pouvoir cathartique de la tragédie.

         

         À la lumière de cette réflexion, on s’aperçoit à quel point la musique pourrait servir de fondement à une nouvelle éthique de l’existence. Ainsi, pour Nietzsche, le bonheur nous est accessible par l’opération d’un retour à une éthique païenne, propre à la civilisation grecque qui l’a tant intéressé. Cette dernière se fonde essentiellement sur l’esthétique cynique. Le cynisme prend comme figure de proue Éros – pour ce qu’il a de plus passionnel- ; ce dernier, peut être assimilé à Dionysos. Dans la quête du bonheur, Nietzsche nous indique que cet Éros dans son déchaînement passionnel et dans sa recherche permanente des plaisirs simples, doit être un modèle pour nous [ses contemporains], comme l’a été Dionysos pour les Grecs. Mais à son époque cet Éros – personnalisant la recherche des plaisirs simples, d’une certaine libération ou plus directement du bonheur – se heurtait à des tonnes d’obstacles dont le principal fut sûrement le christianisme, qui l’a allègrement torturé mais « il n’en est pas mort »[4]. Donc, contre l’hypocrisie et l’exigence de l’étouffement – que réclamait son époque – il souhaitait une vie simple à l’écoute des pulsions, des passions et des plaisirs (qui ne sont jamais que les attributs de la musique).

          Donc, le bonheur est possible! Je formule cette exclamation comme une sorte de réponse a l’écho pessimiste qui retenti dès que l’on cite le nom de Nietzsche, je ne nie pas une certaine passion de l’auteur pour le spleen baudelairien, ni un certain fatalisme mais comme l’a si bien mis en valeur Onfray dans son ouvrage sur l’interprétation de l’auteur. L’écriture nietzschéenne dans tout ce qu’elle a de plus obscure laisse a tout moment transpiré un soupçon aussi infime soit-il d’espoir...

         

        Pour finir, je vais en quelque sorte utiliser pour clôturer mon travail la conclusion que Nietzsche lui-même formule pour la naissance de la tragédie. Il termine sur une note d’espoir, la culture rationaliste qui est la nôtre depuis Socrate doute aujourd’hui de ses fondements et souffre de sa stérilité. Mais l’esprit dionysiaque a survécu dans la musique et peut inspirer la naissance d’une nouvelle culture pourquoi pas celle du bonheur.

Il m’a, simplement, conseillé de plus attacher, la fin de ma réflexion, au sujet de l’espoir et du bonheur, à la musicalité chez Nietzsche ....



[1] ONFRAY Michel, la sagesse tragique ou du bon usage de Nietzsche, Paris, Gallimard, 2006.

[2] Traduction personnelle de la phrase: « the most musical of all philosophers » extraite de: LIEBERT Georges, Nietzsche and music, Chicago (U.S.A),

University

Of

Chicago Press

, 2004, p.15.

[3] NIETZSCHE Friedrich, la naissance de la tragédie ou hellénisme et pessimisme, trad. fr. MARNOLD Jean et MORLAND Jacques, in œuvres, Paris, Robert Laffont, 1993.

[4] NIETZSCHE Friedrich, par-delà le bien et le mal, § 68

29 janvier 2007

La vision en tant que langage dans l’immatérialisme de Berkeley

La vision en tant que langage dans l’immatérialisme de Berkeley

George Berkeley est né le 12 mars 1685 à Kilcrene en Irlande. A quinze ans, il intègre le Trinity College de Dublin où il étudie les mathématiques, les langues, la logique et la philosophie. Il en sort avec une grande distinction. En 1710, Berkeley est ordonné diacre et commence à écrire des essais philosophiques. Il est consacré évêque à l’église Saint-Paul de Dublin et se consacre dès lors à la lutte contre la misère.

Berkeley fait partie de la famille des empiristes anglo-saxons du XVIIe et du XVIIIe siècle. Il invente l’immatérialisme, philosophie qui nie l’existence de la matière tout en affirmant la réalité des corps. Berkeley, grâce à l’immatérialisme, a pour but de réfuter les philosophes implicitement ou explicitement sceptiques, c’est-à-dire les philosophes dont le système implique que l’esprit ne peut être certain de l’existence du corps, puisqu’il ne percevrait rien d’autres que des idées. La reconnaissance de l’inexistence de la matière (immatérialisme) et de la réalité des corps (réalisme empirique) est donc pour lui la seule possibilité permettant cette réfutation.

Dans a théorie de l’immatérialisme, Berkeley donne une importance majeure à la perception. La citation la plus célèbre de l’irlandais étant d’ailleurs « esse est percipi aut percipere » (« être, c’est être perçu ou percevoir »). L’enjeu de ma recherche va donc porter sur un des aspects de la perception qui a chez Berkeley une valeur très importante : la vision. Je vais en effet traiter la question de la vision en tant que modèle linguistique dans l’immatérialisme de Berkeley.

Ce philosophe fait référence à ce sujet nottament dans son ouvrage La nouvelle théorie de la vision dans lequel il émet l’hypothèse selon laquelle les objets propres à la vision (lumières et couleurs) forment un langage universel de la nature1. Les propriétés spatiales des objets tangibles (figures, grandeur, distance, situation) sont perçus médiatement, c’est-à-dire à travers un jeu structuré de signes arbitraires.

Dans l’Alciphron, Euphranor définit d’ailleurs la vision selon des propriétés propres au langages : usage arbitraire de signes sensibles, dont l’agencement permet d’exprimer un nombre infini de signification et de mode de fonctionnement descriptif – elle rend compte d’un état des choses tangibles -, expressif – l’acte de langage révèle une locution divine- et conatif – pars le discours visuel, Dieu guide et oriente nos actions².

Le langage offre à Berkeley non seulement une comparaison pédagogique pour penser certains aspects du phénomène perceptif, mais aussi un authentique modèle, consubstantiel à la théorie de la vision, pouvant jouer un rôle polémique capital dans sa stratégie militante de l’immatérialisme.

Mais pour comprendre ces enjeux polémiques, il faut revenir aux théories classiques de la perception. Le modèle de Descartes, par exemple, s’apparentait à une représentation causale et projective de la vision, la lumière n’étant définie qu’en tant qu’une entité physico-mathématique. Il était parvenu cependant à conjuguer approche physico-mathématique et  approche subjective. Cette conjonction, ce symptôme ou « signe naturel », entetenait un double lien aux choses du monde : ontologiquement, un lien causal, et épistémologiquement, un lien de signification. Mais cette notion sémiotique restait subordonnée à la causalité.

(1)   BERKELEY George, La nouvelle théorie de la vision, 147, (1ère édition).

(2)   BERKELEY George, Alciphron, IV, 6.

Berkeley, lui, veut résorber le modèle causal de la perception au profit du seul modèle sémiotique. Comme le précise très bien Philippe Hamou, « à première lecture, la Théorie de la vision apparaît comme un texte dont l’ambition n’est pas tant de renverser la représentation classique de la perception que de la radicaliser »³.

Il estime qu’il faut pousser l’arbitraire beaucoup plus loin que ne l’avaient fait les classiques, le faire ressortir dans ce qui lie, lors d’une contemplation propre et immédiate, idées tangibles et visuelles, alors que celles-ci n’ont aucune ressemblance ni connexion nécessaire entre elles.

Berkeley souhaite dès lors avoir une phénoménologie exacte de l’objet propre et immédiat de la vision, objet malaisé à décrire dont il perçoit bien qu’il nous est donné qu’à travers la gangue du préjugé et des habitudes. Pour se mettre à distances de celles-ci, il sollicite des expériences de pensée qui nous permettent une prise de conscience qui modifierait notre perception, tel que l’entrelacement du visuel et du tangible dans nos expériences n’ait jamais eu lieu.

Cette introspection peut prouver le caractère arbitraire de cette liaison du tangible et du visuel, mais il est aussi nécessaire, pour comprendre cette liaison subjectivement vécue comme nécessaire, d’accomplir une phénoménologie de la vision intégrant une justification de ce qu’on pourrait appeler l’attitude naturelle du percevant.

C’est pour cela d’ailleurs que Berkeley sollicite le modèle du langage. L’apprentissage d’une langue est en effet le fruit d’une longue habitude, qui nécessite selon le philosophe l’association constante de deux simulations sensorielles (l’une qui fait signe, l’autre qui fait sens) dissemblables et qui a pour effet de créer une seconde nature. Ce phénomène purement psychologique procède de l’habitude et d’une certaine pente naturelle de l’imagination.

Les signes visuels ne ressemblent pas aux choses tangibles auxquelles ils nous préparent. C’est par l’expérience que nous avons appris à comprendre qu’ils possédaient en quelque sorte une signification tangible, la nature agissant comme le maître de langue, associant sans cesse le mot à la chose. On peut aussi finir par négliger les signes au profit du signifié, ce qui témoigne de l’étroitesse de cette fameuse connexion. Et il est intéressant de préciser l’universalité du langage visuel qui permet d’en préserver les signes « des contresens et ambigüités auxquels les langages d’invention humaine sont immanquablement sujets », mais encore une fois, elle contribue à masquer la nature arbitraire des signes visuels4.

Les arguments présentés jusqu’à présent montrent que le schéma causal et projectif ne trouve aucun support phénoménologique dans l’analyse de la perception. A cet égard, l’analogie linguistique est intervenue pour montrer comment une relation qu’une phénoménologie stricte révèle comme arbitraire peut se présenter subjectivement comme une relation nécessaire. On peut donc se demander si, à un niveau infraphénoménologique, une relation causale entre objets tangibles et percepts visuels peut exister.

Il convient de remarquer que, dans l’hypothèse causale traditionnelle, les signes visuels, quoique arbitraires et porteurs d’une signification empiriquement acquise, ne font pas à proprement parler un langage. Ils forment un ensemble de symptômes qui n’expriment pas une intention de signification, assumée par une volonté libre, mais se contente de trahir un état de fait, par lui-même dépourvu d’intelligence et de volonté expressive. En outre, ceux-ci, considérés en eux-mêmes, sont déconnectés les uns les autres et ne forment donc pas de système.

(3)   HAMOU Philippe, « Sens et fonction du modèle linguistique dans la Nouvelle théorie de la vision », in Berkeley. Langage de la perception et art de voir, BERLIOZ Dominique (éd.), et al., Paris, Presses universitaires de France, 2003, p. 59.

(4)   BERKELEY George,  La nouvelle théorie de la vision, 66

Berkeley était conscient qu’un langage authentique n’est pas n’importe quel système de signes arbitraires. Il le dira explicitement dans l’Alciphron : « Tous les signes ne constituent pas un langage […] la véritable nature du langage se constitue de l’articulation, de la combinaison, de la variété, de l’abondance, de l’usage extensif et généralisé alliés à une application facile des signes : toutes caractéristiques propres à la vision. »5

En suggérant dans toutes se analyses que la vision est structurée comme un véritable langage, un champ articulé de différences, Berkeley rendait concevable à son lecteur le fait qu’elle puisse être mise au service d’une intelligence capable de combiner des signes pour produire un sens, un discours. Un simple ensemble de symptômes ne ferait pas l’affaire pour cela. L’arbitraire acquiert désormais son sens plein : on peut le penser et non pas seulement comme absence de ressemblance du visuel et du tangible, mais comme le résultat d’un choix libre et intelligent.

En mettant l’accent sur la structure linguistique de l’apparence, la Théorie de la vision a donc donné a son lecteur le pouvoir de se libérer de l’emprise du schéma causal et projectif. Non seulement celui-ci n’est pas requis phénoménologiquement, mais il n’et pas requis non plus pour satisfaire l’économie théorique d’une explication scientifique de la conjonction du texte et du tangible. Ce faisant, la Théorie de la vision se présente très clairement comme un texte propédeutique de l’immatérialisme.

Commentaires de M. Timmermans :  + : - Sujet intéressant et original.

- : - Relâchement de l’orthographe dans la seconde partie

     - Attention aux références.

Résultat : 4/5

(5) BERKELEY George, Alciphron, IV, 12, P.158    (comm.. du prof: référence incomplète)

28 janvier 2007

Les Amish dans le monde, mais non point « du » monde .

                                                                                                                                      Linclau Aurélien

                                                                                                                                      Philosophie BA1                               

Travail d’encyclopédie philosophique pour le cours de Mr B.TIMMERMANS.

Les Amish dans le monde, mais non point « du » monde .

Pour commencer, précisons-le, les Amish ne sont pas une secte mais une communauté.
Chez eux, il n’y a ni détournement du bien d’autrui ni endoctrinement. D’ailleurs, ils se méfient de la parole, car non-violents, ils considèrent le verbe comme le premier vecteur possible d’agression.

Ce pacifisme est lié au fait de l’obéissance littéral à la bible et surtout au Nouveau Testament. Ils suivent l’enseignement de Jésus, se basent sur lui pour l’étape de leur séjour terrestre, ils se reconnaissent dans la race élue, la nation Sainte dont il est fait mention dans le Nouveau Testament[1].

Depuis la réforme protestante du XVIème siècle, les Amish vivent en marge de la société. L’énigme de leur survivance et de leur prospérité est que pour eux, la religion est leur vie tout entière. Ils sont persuadés qu’ils ne sont sur cette terre que des étrangers, des pèlerins incompris, ils ne tentent ni d’améliorer, ni de convertir le monde ( seul les Beachy Amish ont lancé une activité missionnaire). Ils acceptent les étrangers tels qu’ils sont, ils ne se considèrent pas comme de nouveaux apôtres.

Leur survivance et leur prospérité sont aussi liées au fait qu’ils s’éloignent du milieu urbain, s’isolent pour s’épanouir en toute sérénité. Ceci n’étant possible que sur la base d’une fraternité forte et unie, fondée sur les notions d’égalité, entraide et partage. Leur force est donc la symbiose du groupe, due au cadre de vie commun, à leur croyance respectée et à leur apparence physique, que leurs aïeux, paysans du XVIIIème siècle, arboraient déjà en signe de protestation contre l’humanité ; l’apparence physique étant la manière la plus visible pour exprimer leur soumission à leur dieu, leur différence sociale et leur volonté de séparation mais surtout l’égalité entre tous, à l’image de certaines écoles imposant l’uniforme.

Les Amish rejettent le monde pour son malaise social,  pour son modernisme et ses vices.

Mais il y a là une confusion : ils utilisent les commodités mondaines à condition de ne pas les posséder ou en les utilisant en les archaïsants. Il y a là une contradiction avec la règle de l’Ordnung. Cette règle est d’ordre religieux et conditionne tous les détails de la vie pratique, de la naissance à la mort. L’accent est mis sur la simplicité de la foi : il faut suivre Jésus dans la vie de tous les jours, c’est-à-dire renoncer à soi-même, ne pas vouloir jouer un rôle dans le monde, apprendre à supporter les épreuves avec patience et tout espérer de " l’autre monde ". Proche du stoïcisme, c’est en religion, un quiétisme teinté de piétisme. D’une manière très conforme au pessimisme monastique, les Amish pensent que la seule manière possible, pour eux-mêmes, de mettre en pratique les enseignements de Jésus, c’est de vivre en communauté et d’essayer de se soustraire aux mauvaises influences du monde moderne en s’en séparant.

Malgré cela, ils dépendent des « Anglais »(non-amish) car ce sont leurs enfant qui aident à bâtir leur monde (médecine, loi…), ils sont dans un cocon dans lequel ils intègrent et qu’ils rejettent à leur convenance. Mais, selon Marie-Thérèze Lassabe- Bernard :  « Conscients de leur dépendance vis-à-vis du monde, les Amish essaient de la réduire au minimum. »[2]
C’est donc un problème de juste mesure qui varie selon les communautés.

Leur doctrine est d’honorer dieu par le dur labeur, rester toujours le plus proche de la famille, de la terre et de son Créateur.
Ils vivent dans une véritable communion avec la nature, ils sont liés à elle, nourrissent un sentiment d’amour et de respect ; leur vie est réglée sur son rythme ( avec le soleil comme chez les Anciens).  Ils croient que le Créateur attend de ses enfants qu’ils se conduisent en dignes régisseurs du monde qu’il leur a confié. Ils veulent valoriser et faire prospérer le don de dieu.

Ils reçurent un riche héritage de leurs ancêtres Anabaptistes en matière de gestion agricole et de stricte économie car ceux-ci furent refoulés loin des villes.  Ils se cantonnent donc aux activités du monde rural.  Pour eux, la ville est synonyme de dépenses, de loisirs et de perdition.  Souvent les jeunes Amish reviennent dans leur communauté afin de se faire baptiser et pour retrouver la chaleur familiale et la joie de la terre après un séjour dans les villes.

Pourquoi un tel attachement à ce monde physique ?

Parce qu’il est considéré comme bon, ni nuisible, ni corrupteur. Dieu est présent partout, dans le sol, les plantes, etc. Les éléments naturels leur rappellent aussi leur fragilité et leur dépendance vis-à-vis du Dieu Tout Puissant.

C’est par l’effort et la douleur musculaire que se ressent le mieux le contact avec Dieu, travailler de ses mains pour subvenir aux besoins familiaux.

Ils mènent donc une existence saine, enrichissante, qui tisse les liens familiaux, cela grâce aux partage des tâches domestiques. Cela donne une philosophie archaïque proche de la nature où la graine meurt puis donne vie. 

On finit par récolter ce que l’on a semé.

Au sein de leur Eglise, on distingue une certaine hiérarchie : le dirigeant sera celui dont la conduite exemplaire reflète les valeurs fondamentales de simplicité, d’abnégation et de fermeté dans la foi. Il n’y a aucune soumission à l’instar de la société des hommes (ils ne paient plus d'impôts puisqu'ils ne coûtent rien à l'Etat, ils décident eux-mêmes du moment où ils prennent leur retraite : du moment qu’un père a un ou deux fils de plus de 20-22 ans).
C’est le vote de la communauté qui désigne le responsable, chaque district représente une entité totalement autonome, possédant sa propre gestion, ses propres lois internes.
Il n’y a pas d’organisation centrale chez eux.

Pour eux, l’Eglise est conçue dès l’origine dans le dessein de dieu, l’église est à mi-chemin entre le Royaume de Dieu et l’Univers des hommes, ces derniers ayant choisi le diable, la destruction, l’enfer. La préservation de cet état de sanctification morale ainsi que de la pureté de l’Eglise passe par la rupture inévitable d’avec l’humanité pécheresse.

On peut donc dire que pour eux, les Amish sont dans le monde, mais non point « du » monde.

La théologie Amish : théos ( dieu) logos (science, raison)

La théologie Amish ou l’enseignement a longtemps été absent du langage de l’Eglise Amish car ils sont enracinés dans leur rejet fondamental de toute réflexion abstraite et d’intellectualisme. Ils refusent par définition tout échange théologique, débats d’idées dans le domaine de la foi, seul l’Evêque a le droit aux interprétations.

Pour conclure, je dirais que la vie en autarcie pratiquée par les Amish semble les protéger des grandes menaces que constituent les déviances dues à la surexploitation des ressources et à l’élaboration de nouvelles technologies. Ils produisent eux-mêmes ce qu’ils consomment et font absorber à leur bétail, évitant toute maladie dite transgénique. Ils sont conscients qu’ils n’ont pas leur place dans la société contemporaine, ils choisissent donc comme philosophie d’abriter leurs valeurs ( leur philosophie) dans l’abstention du monde, évitant le malaise social des autres sociétés, évitant comme on l’aurait pensé 20 ans plus tôt de se fondre dans le grand " melting pot " américain. C’est le vibrant témoignage d’une réponse différente aux problèmes de la modernité : le passé reste vivant dans le présent.


[1]  I Pierre 2 :9 et Tite 2 :14.

[2] « Conscient de leur dépendance vis-à-vis du monde, les Amish essaient de la réduire au minimum. » ( Marie-Thérèse Lassabe-Bernard, Les Amish. Etude historique et sociologique , Editeur/Edition : Honoré Champion, Paris, 2000, p.39 , c’est moi qui souligne les mots « les Amish essaient de la réduire au minimum. »).

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23 janvier 2007

L'athéisme et le néant.

Sivine Mathilde

L’athéisme et le néant.

Sur atheisme.free.fr, l’athéisme se définit comme tel : « attitude qui consiste à ne pas croire en l'existence de Dieu ou de toute autre divinité.  L'athéisme ne se contente cependant pas de rejeter purement et simplement l'idée de Dieu. Il essaie de comprendre l’origine et l'universalité du phénomène religieux et d’expliquer autrement ce que les religions prétendent éclairer. Les domaines à explorer touchent à de nombreuses sciences humaines : sociologie, psychologie, neurologie, économie, politique... ».1

De cette définition, il ressort clairement que l’athéisme n’implique pas seulement un refus de croire en Dieu, mais aussi une interprétation autre des phénomènes expliqués par les religions.  L’athéisme n’est donc pas seulement une attitude de rejet, mais aussi de questionnement plus personnel face à ces phénomènes.  Cependant, s’éloigner d’un sentier battu tel que la religion n’est pas chose évidente.  De Carvalho illustre bien le côté angoissant de l’athéisme en disant : « l’athéisme, profondes ténèbres, sources de troubles, d’angoisse et de douleur.  Tel la flamme qui monte et envahit toute la terre, dévorant tout sur son passage, l’athéisme est le feu qui brûle et ronge ».2  On pourrait alors se demander si l’absence de religion n’est pas dangereuse pour l’homme.  En effet, l’athéisme n’engendre-t-il pas un sentiment de néant ?

Freud considère la religion comme une névrose universelle issue du complexe d’Oedipe, un conflit qui oppose le Ça ou l’ensemble des pulsions inconscientes, et le Surmoi ou la censure sur l’ego par intériorisation des interdits moraux. Selon lui, la religion est une illusion que l’homme crée dans le seul but de réaliser un désir, et sans tenir compte des rapports entre croyance et réalité.  Les doctrines religieuses traduisent un intense besoin de consolation. Freud, lorsqu’il dit que Dieu est l’image qu’on se fait d’un père élevé au rang supérieur, introduit la notion de surpuissance qui impressionne, certes, mais qui rassure.  Parce que l’homme croît et évolue, mais conserve de l’enfance le besoin de se sentir protégé.  Selon cette conception, l’athée doit faire preuve de bien plus de maturité que le croyant puisqu’il n’a plus de père protecteur imaginaire (Dieu).   L’athée est donc contraint de voler de ses propres ailes et il se retrouve seul face au danger, sans aucune puissance protectrice.  Cette idée fait peur puisqu’elle retire l’assurance d’une surveillance continue qui empêcherait nos dérapages, c'est-à-dire que l’on se retrouve fondamentalement seul à poser nos actes et à en subir les conséquences.  Dès lors que le sentiment du vide remplace celui de la sécurité, il paraît moins évident d’agir et de faire des choix.  Si la religion est une illusion, elle est néanmoins un repère, un point d’attache dont il est difficile de se passer.  La religion est, selon Freud, une névrose universelle, qui, lorsqu’elle est adoptée, prend la place d’une névrose personnelle que les athées risquent de se former.

André Comte-Sponville va dans ce sens lorsqu’il dit : « Le difficile est d’être seul.
Sans Dieu. Sans amis. Sans amours.
L’athéisme est difficile, et plus d’un y échouent. Il ne suffit pas de ne pas croire, pas plus qu’il ne suffit, pour savoir ce que c’est que la nuit, de fermer les yeux… Le néant est un mystère d’abord, et l’on s’invente toujours des soleils. »3


(1)  ANONYME, « Athéisme : page d’accueil » [en ligne], disponible sur         <http://atheisme.free.fr/Themes/Atheisme.htm>, consulté le 31.10.2006.

(2)  DE CARVALHO Manoël Joaquim, Dieu et liberté, trad. fr. Pierrette Chevalier, Paris, Téqui, 1967, p. 45.

(3)  COMTE-SPONVILLE André, Le mythe d’Icare, Traité du désespoir et de la béatitude, Paris, Presses Universitaires de France, 2002, Tome 1, p. 1

André Comte-Sponville met ici en évidence la solitude et le sentiment de vide qu’implique l’absence de Dieu, en insistant sur le mystère face auquel l’athée se trouve puisque Dieu, en plus de rassurer, donne des réponses aux questions existentielles. En quelque sorte, la religion déleste le croyant d’un poids, celui du questionnement sur les origines, le sens de la vie, le bien et le mal,…  Ce questionnement, lorsqu’il est sans réponse, peut être inconfortable et même effrayant, puisqu’il est sans fin, sans preuves.  Il est difficile de faire abstraction des mystères de la vie, et la religion, bien qu’il ne soit pas sûr qu’elle mène à la vérité, libère de ce questionnement sans fin.  Pour André Comte-Sponville, l’existence de Dieu n’est pas vraisemblable, mais n’en est pas moins désirable.  Selon lui,  Dieu remplit si bien nos désirs profonds que c’est à se demander s’il n’a pas été inventé par l’homme pour cette simple raison.

Cependant, tout homme, même celui qui refuse d’adhérer à une religion, peut avoir soif de spiritualité.

Pour André Compte-Sponville, l’athée à la recherche de spiritualité diffère du croyant par sa manière de penser l’Absolu, c'est-à-dire le Tout.  L’Absolu peut être pensé comme transcendant, comme extérieur au monde.  Il s’agit alors de Dieu.  Mais l’Absolu peut aussi être pensé comme immanent, il est alors l’univers, au cœur duquel nous nous trouvons.  L’Absolu n’est alors plus quelque chose que nous rencontrerons après la mort, puisque nous nous y trouvons déjà, mais cependant nous ne pouvons jamais le connaître vraiment.  Cette conception tend vers le mystique, qui se caractérise par quatre types d’expériences : l’éternité, c'est-à-dire le présent qui reste présent, duquel nous sommes toujours éloignés par des regrets du passé ou des aspirations futures ; la plénitude, qui est de ne désirer que ce qui est ; l’unité, c’est à dire la mise entre parenthèse de la complexité, et enfin, le silence.  Ces expériences mystiques peuvent être vécues par tout homme, croyant ou athée.  D’après André Compte-Sponville, une expérience mystique est même plus accessible à un athée qu’à un croyant puisque ce dernier, de par sa croyance en Dieu, se situe à l’extérieur de l’Absolu et ne peut que le désirer et le rechercher.  Par contre le mystique, lui, peut parvenir à ne plus manquer de Dieu, ne plus avoir besoin d’Eglise.  Selon cette conception, l’athéisme n’est pas source de néant, mais devient au contraire la possibilité de se sentir appartenir au Tout et permet une spiritualité sans père, sans Dieu.

Nietzsche considère les croyances comme nécessaires à l’homme qui a besoin d’idoles, de points d’appuis pour supporter l’existence.  Les Dieux sont selon lui une création de l’homme, mais une création indispensable.  Si la religion disparaissait, l’homme se créerait d’autres idoles car il a besoin de certitudes inébranlables.  La religion permet de substituer au monde sensible, troublant et incertain, un monde de stabilité, autrement dit, de passer du devenir à l’être.  Lorsque Nietzsche dit que « Dieu est mort », que la croyance au Dieu chrétien est discréditée, il considère cela comme une ombre, un danger. En effet, la religion donnait un équilibre, un sens à l’homme.  Dès lors que la religion est rejetée, la réalité humaine est dévoilée.  L’homme, cette réalité inconsistante, cette poussière par rapport à l’univers, s’il rejette la religion, n’a plus sa place au centre du monde.  Il est difficile d’accepter que la situation de l’homme soit dans le chaos du monde. 

On peut établir un rapprochement entre cette conception de l’homme, poussière dans le chaos du monde, et le sentiment d’appartenir à l’Absolu, au Tout, dont parlait André Compte-Sponville.  Cependant, si Nietzsche considère l’homme sans Dieu comme un homme voué à une instabilité peu confortable, l’homme qui se sent appartenir à l’Absolu peut, par une expérience mystique, ne plus avoir besoin de Dieu.

Si l’appartenance à une religion dispense d’un tas de questionnements, de doutes, de mystères et d’angoisses, l’athéisme, lui, remplace cette sécurité par un vide, un néant.  Sans père protecteur, sans vérités inébranlables, l’athée est sujet à l’incertitude et à la solitude. Néanmoins, l’athéisme ne signifie pas l’absence de spiritualité car il laisse place à l’expérience mystique ou au sentiment d’appartenir au Tout.  Cette expérience ne donne cependant pas d’explications et est dépourvue de dogmes.  Mais l’homme a-t-il besoin d’un monde stable, sans mystères ? 

20 janvier 2007

L’acte de peindre.

Travail d’encyclopédie de la philosophie:            

                               L’acte de peindre.

Introduction:

            Le sujet de ce texte s’est transformé au fur et à mesure qu’il se déterminait.

            Dans un premier temps, le choix de la notion de corps dans la peinture paraissait établir un lien entre peinture et philosophie.  Par cette notion,  le tableau est envisagé comme transposition du corps.  Cette position,  liée à une expérience personnelle de la pratique picturale ne permettait pas de dépasser une réflexion subjective.  La notion de corps fut abandonnée au profit des concepts aristotéliciens antagonistes de forme et de matière.  Cependant, ces deux concepts risquaient d’imposer une classification réductrice trop éloignée du caractère dynamique et complexe de l’expérience picturale.  Par conséquent, la notion de corps est maintenue et intégrée dans une thématique plus vaste qui comprend deux autres notions :  la vision et la profondeur.

            Ces trois notions se retrouvent dans la pensée phénoménologique de Merleau-Ponty et plus particulièrement dans son dernier écrit L’oeil et l’esprit  où le philosophe cerne au plus près l’acte de peindre.  Pour cette raison, cet ouvrage est la référence majeure de ce travail qui,    par ailleurs, n’a pas la prétention d’en être le commentaire.

La position de Merleau-Ponty, éclairée par l’oeuvre Cézanienne et le cubisme, sera confrontée aux positions cartésiennes du corps, de la vision et de la profondeur.

            La notion de corps est première;  le corps, origine de toute perception, est immergé dans le monde.  “C’est en prêtant son corps au monde que le peintre change le monde en peinture”.  La vision sera abordée dans une seconde étape.  Elle est tantôt acte de mise à distance du monde extérieur, tantôt acte de manifestation du monde intérieur.  Á la suite de ces deux notions, la profondeur sera envisagée comme forme d’organisation de la vision.

Le corps:

                        

           La phénoménologie accorde une grande importance au corps, il est la condition d’accès de toute connaissance.                                                                                                                           Origine de toute perception, le corps est immergé dans le monde et non en face de lui.  Les choses ne sont que le prolongement du corps.  Celui-ci est à la fois un sujet conscient et un objet sensible, à la fois sentant et senti, voyant et visible...  Cette expérience primordiale de la perception est au départ secrète et indécible.  Le travail du peintre est de dégager le sens latent du contact fusionnel qu’il entretient avec le monde.  La nature fait écho dans le corps du peintre et se double en une nature intérieure dans laquelle il va puiser son inspiration.  Le peintre réveille la nature qui est en lui pour la transformer en peinture.  Toute sa vie, Cézanne a voulu peindre le monde primordial de la perception que nous avons des choses et  notre ancrage corporel en elles.  Il a cherché à déceler la matérialité des choses, leur solidité et leur durée par l’expérience de la corporéité.  Tandis que l’homme de la rationnalité cartésienne refoule sa corporéité  et enferme lui et les choses dans des modèles immatériels fabriqués par sa conscience mentale.  D’un côté nous avons un être de chair, et de l’autre un être abstrait.

La vision:

                        L’acte de peindre est exclusivement un acte de vision.  Par rapport au monde perceptif qui peut être qualifié d’amorphe, la vision est déjà un premier acte.  L’acte de la vision est double :  il est à la fois la mise à distance du monde extérieur et à la fois la manifestation du monde intérieur.  Regarder, c’est mettre à distance les choses.  Mais si la vision du peintre, n’était qu’une mise à distance du monde, il n’y aurait pas de différence entre la démarche picturale et celle des scientifiques qui séparent radicalement le sujet de l’objet.  “La science manipule les choses et renonce à les habiter”.  Ce qui fait la spécificité de la position du peintre, c’est qu’il se laisse imprégner, transpercer par le monde, qui résonnant en lui, est reconstruit et ensuite projetté sur la toile.  Le peintre rend visible ce que la vision profane croit invisible.  Il rend compte des sous -bassements du monde perceptif.  La vision intérieur du peintre engendre un univers complet et pourtant toujours partiel.  Chaque tableau est un univers complet en lui-même et partiel par rapport à d’autres tableaux.  Cette vision ressemble à celle d’un nouveau-né.  Elle demande à être continuellement renouvelée. 

             Pour les Cubistes comme pour Merleau-Ponty, la vision dépend du mouvement.  Le mouvement implique la multiplication des points de vues qui aboutit à un éclatement des plans.  Mais plus qu’un monde décomposé, le monde cubiste est un monde en formation.                  Contrairement à Merleau-Ponty, Descartes ne s’intéresse pas à la vision qui a lieu,  mais cherche à avoir une compréhension objective et scientifique de la vision.  Le sens du toucher pour Descartes peut se substituer à la vision, l’aveugle “voit” grâce à son bâton.  Le modèle pictural correspondant à la philosophie de Descartes, c’est la peinture perspectivique de la Renaissance.  La pespective centrée sur un point de fuite unique implique que  nous regardons avec un seul oeil  immobile et que nous sommes en dehors de l’espace.  Léonard de Vinci est le premier à avoir montré que l’écart entre les deux yeux provoque des images différentes faisant apparaître les objets en trois dimensions.  En réalité, le mouvement de notre oeil donne une forme sphéroïdale à l’espace.   Ainsi, l’espace est engendré par la courbe et non par la droite.  La perspective géométrique reproduit le schéma abstrait de ce qu’elle sait de la réalité et non ce qu’elle voit.  Sur ce point, elle rejoint la vision des Cubistes, mais aussi plus étonnement celle de l’enfant que la perspective prétend corriger.

La profondeur:

                         La profondeur n’est qu’une dimension de l’espace, la largeur et la longeur ne seront pas évoquées ici.

            Dans la peinture moderne soutenue par Merleau-Ponty, la profondeur n’est plus l’organisation d’une illusion, elle n’est plus la troisième dimension.  Elle doit être cherchée et renouvelée à chaque tableau, il s’agit d’une perspective vécue.  L’espace moderne est un espace polymorphe.  La profondeur peut naître de la couleur qui anime la forme.  Cette profondeur obtenue par la couleur crée une texture, une matérialité, une identité.  La couleur dans la peinture moderne n’est pas le simulacre de la nature, de même, la forme n’est pas la représentation de l’enveloppe extérieur de l’objet.

Les tableaux modernes suggèrent des espaces, tandis que les tableaux classiques imposent un type d’espace.

             Dans la perspective géométrique soutenue par Descartes, le tableau est comparé à une fenêtre.  L’espace cartésien est idéalisé, parfait et homogène.  L’image est produite par les lignes droites qui relient l’oeil à l’objet, la notion d’infini est symbolisée visuellement par le fait que ces lignes convergent en un seul point.  Pour Descartes, la couleur n’est qu’un ornement, toute la force de la peinture réside dans le dessin.  Le dessin est le rapport réglé entre lui et le monde.  Par la production Méthodique d’images parfaites du monde, nous pouvons aboutir à une peinture universelle délivrée de l’art personnel.  Mais la perspective de la Renaissance n’est qu’un moment dans l’histoire de la peinture.  D’autres systèmes de perspectives ont eu court, comme la perspective mystique chinoise, la perspective symbolique du Moyen-Age et la perspective sentimentale du Baroque.

            La conception spatiale de Cézanne est intéressante, car après avoir revécu toute les étapes de l’histoire de la peinture, il est arrivé à donner de l’équilibre, de la stabilité et de la respiration à ses tableaux par le mouvement.

Conclusion:      

            Le corps est la source de toute expérience sensible.  Le peintre entretient un rapport fusionnel avec le monde, c’est ce rapport, qu’il interroge dans sa peinture.

L’acte de peindre est un acte de vision.  La vision du peintre est particulière.  Le peintre n’est pas séparé des  choses, il se laisse imprégner par elles et en même temps par sa vision, il les tient à distance.  La vision du peintre doit toujours être renouvelée.  Il ne peut y avoir une seule vision comme il ne peut y avoir une seule perspective.  La conception spatiale d’un peintre est ce qui l’identifie,  ce qui l’individualise.   

20 janvier 2007

Les passions de l’âme selon Descartes

Les passions de l’âme selon Descartes.

(Et petite introduction sur les passions en général).

J’avais l’idée au début de ce travail de me lancer dans une chronologie synthétique brève du mot « passion » et les différentes manières dont il a été traité philosophiquement tout le long de l’histoire… Mais me rendant bien vite compte de l’impossibilité de rédiger un tel écrit ; de part le temps, de part l’ampleur de la recherche et du fait qu’il me faudrait une maturité philosophiques dès plus complète, loin d’être acquise, pour m’investir avec fruit dans un sujet aussi complexe et controversé ayant fait coulé tant d’encre depuis la naissance de l’intérêt le concernant qui n’a d’ailleurs jamais cessé depuis l’Antiquité…

J’ai donc commencé une recherche assez vaste sur ce terme pour pouvoir trouver un point vers lequel je pourrai me tourner et approfondir mes connaissances, passant en revue de nombreux grands noms de la philosophie, à commencer par Platon et sa tripartition de l’âme bien connue, avec la distinction entre passion supérieure et inférieure réglées par l’action de la raison ; Aristote qui considère les passions comme le signe des différences individuelles, Saint Augustin et sa condamnation radicale des passions, Kant qui estime que les passions sont ce qui empêche la raison de se séparer du sensible et de fonder ses propres jugements, Descartes, … Bref autant de figure emblématique qui se sont mouillé a ce sujet !

Pour comprendre cet intérêt, il faut revenir à la définition même du terme « passion » qui est dans son sens le plus restreint l’état de celui qui subit, une passivité, donc le contraire de l’action mais d’un point de vue plus philosophique, c’est aussi ce qui s’oppose à la raison. Pourquoi cette distinction ? L’homme subissant une passion ne pourrait pas suivre sa raison, aveuglé par ses sensations et ses sentiments. D’où le rejet qu’ont éprouvé de nombreux philosophes à l’égard des passions qui altérait le pouvoir de la raison et aliénerait son action. C’est à partir de cette définition même que partent toutes les divergences de pensée sur le sujet. Que sont les passions : partie de l’homme, de l’âme ou simple éléments de la nature auxquels l’homme est confronté ; sont-elles perçues consciemment, ou celui qui les subit en est-il inconscient ; sont-elles se qui différencient les hommes, sont-elles purement négatives ou permettent-elles un dépassement positif, sont-elles une caractéristique humaine ou animal,…

En bref, le sujet n’a pas vraiment de réponse claire et peut être traité de bien des manières, j’ai choisi de me centrer sur le point de vue de Descartes et donc d’approfondir le terme «  passion » en ce sens…

Souvenons-nous que Descartes n’était pas un de ces philosophes condamnant les passions ni même s’en tenant à l’écart, comme le dit S.S. de Sacy «  Il avait ressenti lui-même les effets des passions, en prenant le mot dans le sens large qu’il lui donne ;  il connaissait d’expérience les troubles de l’âme, l’amour, le jeu, les règles brutales de l’action dangereuse, les conditions de l’aventure ;  il se plaisait à suivre la nature, et déclarait aimer pleinement la vie… ».  Il va de soi que sa philosophie va donc en ce sens : si les passions existent, il est dans le devoir du philosophe de leurs donner un sens autre que simplement les nier mais de les confronter à la raison pour y trouver une explication plus valable, même dans leurs excès.

Il est aussi un des premiers à affirmer que ce n’est pas l’âme qui donne vie au corps qu’elle habite, mais que le corps vit de lui-même l’âme y étant intimement reliée, et que la mort survient quand un ou plusieurs organes se corrompent…  L’âme se détachant à cause de la mort du corps et non pas l’inverse…

L’âme selon sa conception est présente dans tout le corps mais est plus concentrée en une glande située dans le cerveau d’où partent toutes ses commandes.  Elle peut être active ou passive selon les circonstances ;  c'est-à-dire qu’elle peut commander d’elle-même des actions du corps, c’est notre volonté, comme elle peut subir des appétits naturels voire des passions et les mouvements du corps en découlant auxquels elle peut tenter de répondre redevenant ainsi active.

L’âme contient deux parties différentes, la partie sensitive et la partie raisonnable mais qui se confondent ; ce qui diffère des pensées antérieures qui avaient coutumes de les distinguer, je cite « Et ce n’est qu’en la répugnance qui est entre les mouvements que le corps par ses esprits et l’âme par sa volonté tendent à exciter en même temps dans la glande, que consistent tous les combats qu’on a coutume d’imaginer entre la partie inférieure de l’âme qu’on nomme sensitive et la supérieur, qui est raisonnable, ou bien entre les appétits naturels et la volonté ; car il n’y a en nous qu’une seule âme, et cette âme n’a en soi aucune diversité de parties :  la même qui est sensitive est raisonnable, et tous ses appétits sont des volontés. ».  Donc ce n’est plus un combat entre passions supérieures et inférieures auquel on a affaire mais d’un combat entre l’âme et le corps.

Les passions sont en général causées par les objets qui sont perçus par les sens produisant ainsi divers effets sur le corps ou sur l’âme elle-même.

Pour Descartes, il existe six passions primitives d’où les autres découlent :  l’admiration, l’amour, la haine, le désir, la joie et la tristesse.

Tout d’abord l’admiration qui définie dans ce cas par une surprise de l’âme par rapport à un objet nouveau et qui lui fait porter toute son attention, surprise entretenue par la suite par le corps pour la renforcée.

Ensuite l’amour et la haine : étant des émotions de l’âme, dépendant du corps, qui l’incite à se joindre ou à se séparer de l’objet tantôt admiré, l’amour et la haine peuvent avoir divers degrés d’intensité et différentes formes en fonction bien sur de l’objet auquel elles se rapportent et des circonstances.

Le désir est une passion tournée vers le futur qui consiste à vouloir un bien ou ne pas vouloir un mal ainsi que souhaiter la conservation de l’état présent.  Ainsi il peut venir aussi bien de l’amour que de la haine agissant dans les deux sens attirance/répulsion.

La joie émotion de l’âme venant de la jouissance d’un bien considéré comme acquis.

Et enfin, son contraire la tristesse vient de l’appartenance d’un mal

Voilà donc l’explication brève des six premières passions venant des sens (et donc du corps) qui causent des émotions à l’âme et, si elles ne sont pas contenue, peuvent tomber dans un excès risquant de devenir destructeur pour l’individu les subissant.

Leur usage selon Descartes : « Il est à remarquer que, selon l’institution de la nature, elles(les passions) se rapportent au corps, et ne sont données à l’âme qu’en tant qu’elle est jointe à lui ;  en sorte que leur usage naturel est d’inciter l’âme à consentir et contribuer aux actions qui peuvent servir et conserver le corps ou à le rendre en quelque façon plus parfait. ». Mais il reconnaît aussi, que bien que cela soit l’usage le plus naturel des passions, elles exagèrent souvent le bien ou le mal dont il est question pour en quelques sortes tromper l’âme et ne voient souvent que le bien ou le mal à court terme alors que ce qui peut être bien pour le corps peut sembler incommode au début et vice versa, et c’est là qu’interviennent la raison et l’expérience qui permettent de juger de ce qui est réellement un bien et un mal et de leur grandeur. D’où aussi l’importance de la recherche du vrai pour que la raison soit la plus véritable qui soit et non pas aveuglée en son sein.

On comprend donc pourquoi Descartes juge que toutes les passions sont bonnes de nature et que la seule chose dont il faut se méfier ce n’est pas d’elles mais de leurs excès et de leurs mauvais usages mais parallèlement à cela « que c’est d’elles seules que dépend tout le bien et le mal de cette vie » et donc que se laisser toucher par les passions en prenant bien garde de ne pas les laisser prendre le dessus elle le meilleur moyen de jouir pleinement de la vie…

En conclusion, Descartes a vécu quelques siècles avant nous, il s’est plongé dans la question des passions en tant qu’être humain philosophe, ayant compris leurs importances dans l’existence de son époque et essayant de trouver un juste milieu entre « surraison » et déraison toutes deux anéantissantes pour l’homme ; et malgré les nombreux changements du monde effectués en tant d’années, sa pensée me semble encore d’actualité. Quel homme aujourd’hui pourrait prétendre vivre sans passions, alors même où nous sommes dans une ère où le plaisir et la réalisation individuels dépassent de loin tous les autres buts que pourraient prendre notre vie ? Et bien que les bons cotés des passions soient toujours aussi présents, c’est grâce à elles que chaque homme avance dans sa vie, ils sont bien masqués par les mauvais cotés : les excès font beaucoup plus partie de ce monde ou règne la démesure de toutes choses, du sentimentalisme exacerbé au fanatisme : les passions deviennent un destructeur aussi bien de l’individu que de l’humanité; il serait donc bon de réentendre les conseils de Descartes ...

17 janvier 2007

... sans titre ...

            Lire les journaux, c'est parfois tomber sur des nouvelles qui, a priori, peuvent sembler totalement absurdes. Il était en effet possible de lire, récemment, qu'il y a une recrudescence de l'enseignement, dans certaines écoles des États-Unis, du créationnisme religieux tel que présenté par  les fondamentalistes protestants. Certes, une décision en faveur de la liberté d'enseignement a bien été prise, et cela demande le respect, mais l'on peut aussi être amené à se demander ce qui, de nos jours, peut prouver l'existence de Dieu, hors de tout doute. Là, évidemment, d'aucuns répondront que c'est leur foi qui est bien suffisante pour cela, mais, la question demandant d'être traitée plus en profondeur car on ne peut occulter entièrement Dieu du champ de la pensée humaine, il convient de voir comment l'existence de Dieu fut mise en doute ou affirmée par les philosophes à travers le temps et les différents courants de pensée. Il est donc légitime de se poser une question : Y a-t-il encore des preuves de l'existence de Dieu qui tiennent de nos jours? Cette question, cruciale, sera abordée d'un point de vue philosophique, puisque le fait d'affirmer que Dieu existe sur la base de ses propres croyances est difficilement recevable. Commençons d'abord par un bref examen de différentes preuves de l'existence de Dieu et de leurs contreparties respectives.

                        Premièrement, il convient de scruter quelles preuves ont été, avec le temps, mises de l'avant pour prouver l'existence de Dieu. Il y a eu l'argument du consensus universel, ayant été amené par Cicéron, disant que puisque le plus grand nombre de peuples ont un principe divin universel et que par conséquent seule la minorité peut être dans l'erreur, le nombre des croyants suffit à prouver l'existence de Dieu. Cette preuve ne tiendrait peut-être plus nécessairement de nos jours puisqu'il n'est plus certain que ce soit la majeure partie des gens qui croient en un même principe divin, mais ne nous attardons pas sur ce point. Les statistiques à propos du nombre de croyants ou de gens qui s'affirment comme tels sont plutôt pauvres et rarement très fiables ou crédibles.

                        Il y a aussi l'argument cosmologique, basé sur la philosophie aristotélicienne, qui, pour expliquer que l'univers soit compréhensible, donne comme première Dieu. Dans cette optique, Saint Thomas d'Aquin, en bon disciple d'Aristote, affirme que, puisque tout doit posséder une cause, qui doit elle-même en posséder une, et ainsi de suite, seul Dieu peut être la cause première, mais ceci ne peut se traduire par l'expérience sensible et Dieu est la cause première par sa lumière divine, par l'acte de création. C'est un argument aussi connu sous le nom d'argument de la causalité. Il écrit d'abord : « Il faut donc poser un premier moteur qui n'est pas mû par un autre moteur extérieur[1] ». Puis, il écrit plus loin qu'« il faut donc qu'il y ait un premier moteur séparé absolument immobile, qui est Dieu[2] ». Si l'on tient en compte que le mouvement implique le temps, la critique de cet argument est faite via, principalement, l'argument de l'univers incrée, dont l'énoncé tient en à peu près ceci: Le temps étant créé avec l'univers, l'univers dans sa globalité est indépendant de tout système de référence temporel. Il ne peut donc avoir été créé parce qu'un acte de création est un évènement temporel. Si le temps n'existe pas sans l'univers, seul le néant peut être hors de l'univers, et par définition, le néant est ce qui n'existe pas. On peut constater que cette thèse infirme totalement celle de la cause première, en est son antithèse exacte. Sinon, on peut toujours réfuter cette position en réfutant plus globalement l'aristotélisme, à l'aide des découvertes de la physique modernes qui permettent d'ignorer que chaque chose doit posséder une cause grace au principe d'inertie; la cause première n'est plus nécessaire à partir de la révolution copernicienne.

                        D'un autre côté, l'argument de l'inutilité d'un Dieu (ou de dieux) créateur(s) tient quant à lui un propos quelque peu différent mais amenant au même résultat. Dans la théologie dite naturelle, depuis Anaxagore, il est possible de passer de l'idée d'ordre dans la nature à l'idée d'un plan de la nature, formé et conçu par une intelligence créatrice. Cet argument pose deux a priori: la matière ne produit pas spontanément de l'ordre, et: l'idée de la nature intentionnelle de la cause de l'ordre de la nature. C'est Hume qui en fit la critique dans ses Dialogues sur la religion naturelle, en démontrant par notre ignorance qu'il est tout à fait possible qu'il y ait eu genèse sans démiurge. En effet, l'homme est ignorant de la conception de la matière et ne peut affirmer sans preuve empirique que la nature ne saurait produire de l'ordre d'elle-même. Hume rend ainsi caduque la necessité d'un démiurge pour la création.

                        Ensuite, il y a l'argument téléologique, qui, bien que semblant foncièrement logique, ne l'est pas nécessairement pour autant. Il s'agit ici en bonne partie d'une question de point de vue. L'argument téléologique procède en exposant certains faits manifestes, tels l'adaptation des espèces, la croissance, l'organisation du vivant en un tout cohérent, un peu à la manière de la théologie naturelle, et les infère à un principe divin, créateur, organisateur, ordonnateur du monde. Il est troublant de constater que ces même faits de l'évolution en général soient aussi employés par l'athéisme, notamment par Darwin qui en a tiré un matéralisme foncièrement athée. C'est une thèse le plus souvent défendue par les créationnistes (principalement étatsuniens) et qui sert en fait à donner plus de poids scientifique à la conception du dessein intelligent, c'est-à-dire que, pour expliquer le réel et sa complexité il convient mieux d'employer une cause intelligente que les hasards et les mécanismes de l'évolution. Mais cet argument ne tient pas très bien les critiques, en bonne partie du fait de son dogmatisme (puisqu'on devrait pouvoir tirer de la Bible lue littéralement des vérités indémontrables et absolues) et aussi, en son sein-même, il ne fait pas l'unanimité. Mais je ne m'attarderai pas très longtemps encore sur cet argument (qui a aussi des conséquences judiciaires), si ce n'est que pour dire qu'il ne respecte pas le rasoir d'Occam - il met en cause un principe supplémentaire (le Divin) sans le justifier - ni le principe de réfutabilité de Popper puisqu'on ne peut pas utiliser l'expérimentation pour l'invalider.

                        Il existe également un argument dit « moral », exprimant que, sans Dieu, il ne saurait y avoir de morale. Selon cet argument, Dieu est celui qui décide ce qui est bien et ce qui est mal, il se trouve être le fondement ultime de la morale; son absence amène à conclure que notre existence est dénuée de toute valeur morale et que donc il n'y a ni mal ni bien aux actions humaines. Se placer dans cette perspective, c'est en même temps accepter que, pour les athées, tout soit permis et rien ne soit mal puisque cela serait en contradiction flagrante avec leurs principes, et, de plus, c'est adhérer à la thèse selon laquelle les athées auraient plus de propension naturelle au crime que les croyants. C'est, bien évidemment, une thèse discutable, et elle fut longuement discutée au cours de l'histoire de la philosophie. D'Holbach, par exemple, probablement le premier auteur d'expression française véritablement athée, cherche dans son oeuvre Système de la nature à déduire une morale qui soit naturelle. Il affirme par ailleurs que  « les théologiens éveillés ont composé à loisir les phantômes dont ils se servent pour effrayer les hommes; ils n'ont fait que rassembler les traits épars qu' ils ont trouvés dans les êtres les plus terribles de notre espèce; en exagérant le pouvoir et les droits des tyrans que nous connoissons, ils en ont fait les dieux devant qui nous tremblons[3] » et pose donc Dieu ou les dieux comme de pures conceptions de l'esprit, tout en affirmant dans son oeuvre totale que la morale doit être fondée sur la nature et sur elle seulement. Cette morale devra être basée sur la réalité, sur le sensible, ce qui est domaine de l'expérience, et sur le bon sens, et en aucun cas sur les fabulations de gens qui ont inventé des chimères pour répondre à la méconnaissance de la nature par l'homme. De nos jours, un certain écho de ces thèses se retrouve chez certains philosophes analytiques qui affirment que seul l'expérience et l'objectivité ont caractère de réalité, rendant du même coup bien difficile l'existence d'un Dieu que certains veulent absolument transcendant et en-dehors de ce monde.

            Un autre point de discussion sur le sujet de l'existence de Dieu concerne le caractère contradictoire des caractéristiques prêtées à Dieu, à la fois fondamentalement tout-puissant et fondamentalement éternel, ce qui est illogique puisque s'il est tout puissant, il doit pouvoir se détruire lui-même, mais alors il peut donc ne plus être, et n'est pas fondamentalement éternel. Ce paradoxe n'est pas réfuté par les croyants de façon rationelle, puisque le plus souvent ils se réfèrent à la foi et au statut divin de Dieu et, au lieu d'explications rationelles, ils répètent alors des dogmes ou écrits religieux qui, sans preuves autre que la foi, témoignent selon eux d'une vérité absolue. Disons qu'avec la science actuelle et nos connaissances dans tous les domaines, il est tout de même difficile d'affirmer que les écrits bibliques sont tout à fait exacts en tous points.

            Abordons ensuite l'argument du panthéisme, qui définit le divin comme le Tout. C'est la thèse soutenue par Spinoza et les Stoïciens, bien qu'il s'agisse en ces deux cas de systèmes philosophiques tout à fait différents. Cet argument n'a pas réellement un argument opposé qui lui est associé, néanmoins, la conception d'un Dieu dans tout n'est pas nécessairement représentative des grandes religions monothéistes. Ainsi, ce divin dans tout peut même être rapproché d'une thèse appuyant la non-existence de Dieu, celle de l'impossibilité de sa déduction métaphysique. En effet, comme dit précedemment, l'existence d'un être ne saurait lui être prédiquée autrement que par l'observation empirique; or, le Dieu de Descartes ou de Spinoza, le Dieu métaphysique, n'est évidemment pas un être empirique. Cet argument peut même être rapproché de celui d'Euclide qui peut se résumer à dire que ce qui est affirmé sans preuve peut donc être nié sans preuves. Certes, cet argument semble tentant mais pour quantité de gens il s'avère biaisé puisque la foi ne peut non plus être prouvée (rappelons-nous les tentatives de preuves de la foi tentées par l'Inquisition). De plus, tenir de tels propos revient à supprimer le débat entièrement, alors qu'en définitive c'est un débat essentiel et qui ne saurait être éludé sur une simple proposition empreinte d'une bonne dose de scepticisme et d'arbitraire.

            Enfin, il ne faudrait pas oublier de mentionner l'argument ontologique de l'existence de Dieu. Ayant été plusieurs fois reformulé au cours de l'Histoire, on doit sa première exposition à Saint Anselme, soit la forme suivante : « Dieu est ce qui est tel que rien de plus grand ne peut être conçu, or même l'« insensé » qui nie l'existence de Dieu a dans son intelligence une représentation de Dieu; donc Dieu existe au moins en un endroit, et comme il est tel que rien de plus grand ne peut être conçu, il existe aussi hors de l'intelligence de l'insensé[4] ». Cette formulation de l'argument ontologique, parue dans le Proslogion au XIième siècle, peut être résumée jusqu'à devenir, en somme, que, puisque nous avons l'idée de l'Être parfait; et comme la perfection comporte l'existence; l'Être parfait existe. C'est d'ailleurs l'idée qui sera aussi soutenue par Descartes et même Spinoza, bien qu'ils proposent des démonstrations différentes. Cet argument a été réfuté par Kant dans la Critique de la raison pure, et ce, de multiples façons, mais il serait fastidieux de recopier cela ici. La preuve ontologique est aussi critiquée parce quelle confond deux niveaux d'ordres, la pensée et l'être. Employer la définition de l'essence pour prouver l'existence n'est pas valide puisque l'existence ne peut être prouvée qu'à partir de l'observation de l'essence et non de sa définition. Plus récemment, l'ethnocentrisme manifeste de cet argument a fait l'objet de vives critiques. En fait, l'argument ontologique ne serait valable que pour les catholiques car sa vision de Dieu est directement liée à ce type de foi, et en excluant un peu plus de la moitié de la planète, l'argument perd ainsi une bonne partie de sa valeur initiale.

            En conclusion, il est très difficile de clore le débat quant à l'existence de Dieu, même de nos jours. Le fait est que la notion même de Dieu est floue et diffère grandement en fonctions des différentes religions et des courants de celles-ci, et même au niveau simplement des cultures. Si l'on  prend le Dieu du christianisme dans son acception la plus courante, les arguments semblent, vu les avancées de la science et de la technique, un peu minces et pas nécessairement logiques, cependant la foi continue manifestement de jouer un rôle important et il est presque impensable de dire que les croyances des adeptes du christianisme sont totalement infondées et inutiles, voire mauvaises. Donc, il faut conclure que, malgré que par la logique et les sciences, l'existence de Dieu soit, de nos jours, bien difficile à prouver, elle n'en est pas moins aussi difficile à réfuter, vu le caractère de Dieu. En somme, il reste toujours de la place à débat dans notre société comme ailleurs, puisque traiter de façon rationelle de choses de l'esprit n'est pas chose facile, pas plus aujourd'hui que durant les époques passées.


[1]              D'AQUIN Thomas, Somme contre les Gentils 1, trad.fr. Cyrille Michon, Paris, Flammarion, 1999, p. 171.

[2]    Ibid., p. 173.

[3]                 HOLBACH Paul Henri Dietrich baron d', Système de la nature ou des loix du monde physique et du monde moral [en ligne], disponible sur <http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k88620t.item>, consulté le 13.12.2006. 

[4]              BRÉHIER Émile, Histoire de la philosophie, Paris, Presses universitaires de France, 2004, p. 507.

13 janvier 2007

LE SUICIDE

Peu nombreux sont les philosophes qui se sont sérieusement posé la question de la pertinence du suicide comme position philosophique. Nous pouvons par contre observer un nombre impressionnant d’articles et de livres consacrés à la condamnation du suicide ou cherchant les moyens de combattre ce mal. Plus récemment, certains philosophes se sont attaqués au bien-fondé de l’euthanasie. Sur ce point d’ailleurs, la position des philosophes a fort évolué, parlant d’abord de la possibilité de se tuer après avoir vécu son propre temps de vie pour actuellement réfléchir d’avantage à la nécessité de mettre fin à la souffrance du malade en l’aidant à mourir.

Cioran et Camus abordent tous deux le thème du suicide sans poser de jugement moral. Cioran envisageait l’idée du suicide comme quelque chose de grave, bien plus comme un moteur ou une bouée de sauvetage que comme une fuite. En tout cas un concept dont la rumination lui a permis de vivre pendant longtemps. Camus, pour sa part, se demande dans le Mythe de Sisyphe s’il existe une logique conduisant au suicide et part de ce constat : l’absurdité de la vie (son absence de sens). Il ne fait en effet aucun doute pour lui que le monde est absurde et partant il trouve qu’il n’est rien moins logique que d’envisager le suicide comme une prise de position sérieuse.

Ce qui m’intéresse est d’examiner le suicide sous ces deux aspects, l’idée du suicide comme envisagée par Cioran et l’acte de se donner la mort comme aboutissement d’une réflexion tel que proposé par Camus. Les querelles des moralistes sur la façon la plus appropriée de condamner le suicide ou d’envisager l’euthanasie ne feront donc pas ici partie de la brève réflexion que je me propose d’engager sur le sujet.

Pour aborder la question du suicide en tant qu’issue d’une réflexion logique il paraît nécessaire de commencer par réfléchir aux conditions qui rendent possible une telle prise de position. Nous vivons aujourd’hui dans une société libérale, où l’homme s’appartient en propre. Il n’a de compte à rendre ni à un dieu, ni à un despote. L’homme a quasiment réussi, au prix d’une longue lutte, à s’affranchir totalement. Cependant, cette liberté récemment conquise a un prix : l’homme a acquis sa liberté en sacrifiant ses repères.

C’est à mon sens dans un tel monde que se pose la question du suicide. Car si l’homme jouit d’une vie libre, sans chaîne, qu’il n’a plus rien à faire (cette conclusion est un peu rapide pour Timmermans), il me semble légitime de se demander si cette vie vaut la peine d’être vécue pour elle-même.

La question du suicide, telle qu’envisagée dans ce travail, ne se pose que pour des gens libres c'est-à-dire des gens qui considèrent que leur vie leur appartient. Peu d’esclaves se donnaient la mort et il y a très peu de suicides durant les guerres. Une vie qui ne s’appartient pas dans la liberté ou une vie qui risque d’être ravie ne se détruit pas ; elle semble acquérir dans la contrainte ou dans le risque une plus grande valeur. C’est donc bien si l’on  se sent seul détenteur de sa vie que la question du suicide est envisageable.

Si l’on ne se considère pas autonome, notre vie et sa destinée, notre condition actuelle et nos espoirs sont entre les mains d’une plus haute instance ; il est donc normal que ces questions nous dépassent et qu’alors nous fassions reposer le poids de notre vie sur les principes qui nous dirigent. Mais pourquoi l’homme libre, ce gagnant d’une lutte millénaire, lui qui justement peut jouir de la liberté, penserait-il donc à se donner la mort ?

Ce qui le différencie de ses ancêtres, c’est bien son autonomie. L’homme libre n’a rien ni personne sur quoi faire reposer la responsabilité de son existence, aucune réponse toute faite, aucun ami savant et c’est cela justement qui caractérise sa liberté. Cette situation semble loin d’être commode à vivre, l’homme n’a pas l’habitude d’être maître de son destin. Car cette responsabilité implique nécessairement une réflexion quant à sa condition. Il faut construire soi-même sa vie et lui donner un sens. C’est en se mettant à réfléchir à sa situation, à sa place dans l’organisation du monde que l’homme est frappé par l’absurde comme miroir de son impuissante condition. « Penser, c’est saper, c’est se saper. Agir entraîne moins de risques, parce que l’action remplit l’intervalle entre les choses et nous, alors que la réflexion l’élargit dangereusement. »[1] Le caractère rassurant d’une vie de dévotion a définitivement disparu pour faire place à un monde étranger, inhospitalier, auquel l’être humain n’a pas l’impression d’appartenir. Il a alors le sentiment d’avoir perdu le contrôle, contrôle de sa vie, de son destin.

Le suicide apparaît maintenant comme une prise de position raisonnable car, somme toute, comme le dit Camus, se donner la mort « c’est seulement avouer que cela ‘ne vaut pas la peine’. Vivre naturellement, n’est jamais facile. On continue à faire les gestes que l’existence commande, pour beaucoup de raisons dont la première est l’habitude. Mourir volontairement suppose qu’on a reconnu, même instinctivement, le caractère dérisoire de cette habitude, l’absence de toute raison profonde de vivre, le caractère insensé de toute cette agitation quotidienne et l’inutilité  de la souffrance. »[2]. Mais s’il apparaît maintenant qu’il n’y pas de raison de vivre, y en a-t-il une pour se donner la mort ?

Chez Cioran, on observe un renversement du statut du suicide : « Je ne vis que parce qu’il est en mon pouvoir de mourir quand bon me semblera : sans l’idée du suicide, je me serais tué depuis toujours. »[3] C’est que l’idée du suicide rend un certain pouvoir à l’homme qui évolue dans cet univers absurde. Si la liberté s’accompagne d’une perte de repère, si le caractère absurde de l’agitation qui nous entoure nous écrase, l’idée même du pouvoir que l’on a sur sa vie, sur son destin par le biais du suicide peut calmer le tourbillon de pensées qui risquait de nous emporter. Car l’homme libre est celui qui est le détenteur de son existence et peut donc en user comme bon lui semble. S’il ne trouve pas de raison transcendantale à sa vie, l’homme peut néanmoins se sentir maître de son destin.

Dés lors, l’acte lui-même ne semble plus présenter tant d’intérêt ni surtout d’urgence puisque le pouvoir que l’homme a sur sa vie peut s’exercer à tout moment, c'est-à-dire également demain ou après demain. L’idée du suicide permet donc de calmer le flux de pensée et apparaît comme solution provisoire à la perte de sens provoquée par la suppression des chaînes que l’humanité a si longtemps traînées.

Pour conclure, je retiens deux aspects du suicide fondamentalement différents : l’idée du suicide et le passage à l’acte. D’une part, se donner la mort manifeste « l’acceptation de sa limite »[4], qui est une manière de résoudre l’absurde, au même titre que les religions et autres systèmes qui imposent un sens à la vie au détriment du libre-arbitre. D’autre part, l’idée du suicide représente quelque chose de paradoxalement revitalisant, qui permet de se rassurer, un contrepoint pour l’homme libre qui a décidé de le rester et qui se rappelle par cette idée qu’il l’est puisque à tout moment il choisit en somme de rester en vie.


[1] CIORAN E.M., De l’inconvénient d’être né, Paris, Gallimard, 1987, p.22O.

[2] CAMUS A., Le mythe de Sisyphe, Paris, Gallimard, 1985, p.20.

[3] CIORAN E.M., Syllogismes de l’amertume, Paris, Gallimard, 1987, p.74.

[4] CAMUS A., Le mythe de Sisyphe, op. cit. , p.79.

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