Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
BA1 2006-2007 travaux d'encyclo
11 janvier 2007

La douleur chez Schopenhauer

de Beukelaer Alexandre                                                                                 

Travail d’encyclopédie de la philosophie

La douleur chez Schopenhauer

« Le bien-être et le bonheur sont donc tout négatifs, la douleur seule est positive.»[1] Schopenhauer nous dit pourquoi : « lui (le mal) seul au contraire est positif, car lui seul se fait sentir »[2].  Tout d’abord, qu’est-ce que la douleur ?  Il s’agit d’une sorte de système d’alarme, qui sert à attirer l’attention de l’individu, humain ou animal, sur quelque chose de néfaste pour l’organisme et par la gêne qu’elle procure force à l’action, à l’adaptation.  « La douleur est dans la conscience, la réaction immédiate de la volonté quand celle-ci se heurte à des obstacles. »[3]  Exactement, cette douleur pousse à l’action.  « Il y a un obstacle, il faut le surmonter ! » : voilà sans nul doute, le message que nous adresse la douleur, qu’il s’agisse ou non d’une douleur physique.  C’est pourquoi « nous sentons la douleur, mais non l’absence de douleur »[4], quand tout va bien il ne faut rien faire.  Schopenhauer parle d’un monde de cocagne[5] dans lequel les hommes verraient leurs souhaits exaucés à peine formés.  Pour lui les hommes y mourraient d’ennui, se querelleraient et se causeraient, en définitive plus de souffrances que celles que la nature leur impose maintenant.  Dans un tel monde, où la volonté serait apaisée dès la naissance, la conservation de l’individu serait assurée, l’homme toujours poussé par le vouloir vivre n’aurait plus comme mission qu’assurer sa descendance, la conservation de l’espèce.  Dans un monde tel que celui-là, l’envie n’aurait pas sa place puisque tous les désirs seraient satisfaits mais que resterait-il à l’homme ? Puisque seule la douleur se fait sentir, il ne pourrait pas plus qu’ici bas saisir son bonheur pour en contempler, rien qu’un instant, les traits. Il ne resterait alors que l’ennui et, de là, le désespoir de vivre s’il n’y a pas de défis à relever, de difficultés à surmonter, ou de raison à donner à son action.  « Ce n’est point dans le vouloir mais dans le vouloir accompagné de connaissance que consiste la faute »[6], ainsi si ce monde de cocagne n’était habité que d’êtres exempts de raison, de connaissance, donc d’animaux, il serait le paradis sur terre, un lieu empli de jouissance ou la vie coulerait comme un navire sur un fleuve de délices.  C’est bien de la connaissance que provient la faute et qui fait que la douleur, bien plus que dans son simple rôle fonctionnel de survie, est présente à chaque instant dans la vie de l’homme et lui sert de compagnon tout au long de l’existence pour l’abandonner à la mort et le laisser enfin s’en retourner au néant.  « C’est une seule volonté qui s’objective dans le monde tout entier. »[7]  Dans ce monde, tant la matière organique qu’inorganique sont des expressions différentes de cette volonté qui est « la chose même en soi, le fond intime, l’essence de l’univers »[8].  Les circonstances préexistantes (à la vie) ont eu égard aux êtres à venir tout comme les espèces se sont adaptées à ces circonstances[9].  L’évolution, les formes prises par la vie et donc la douleur qui en résulte ainsi que tous les phénomènes dont on peut prendre connaissance sont en réalité des formes différentes de l’expression d’une seule et unique volonté.  La vie est le miroir de la volonté où celle-ci prend connaissance d’elle-même et de ce quelle veut.  Tout comme mourir est indissociable de naître, vivre et souffrir vont de pair, en effet la souffrance est inséparable de la vie et la vie est l’expression de la volonté donc la volonté veut  la souffrance.  La douleur n’est pas fruit du hasard, mais de là à déclarer que notre existence ne peut avoir d’autre raison d’être que celle-ci[10], il y a un pas que je ne franchirai pas.  Le désir nous maintient toujours en haleine sans nous laisser prendre du temps pour savourer rien qu’un instant le plaisir pour lequel tant d’efforts ont été faits, à peine le désir est assouvi que soit un nouveau désir nous assaille, soit l’ennui nous guette comme un rapace sa proie.  C’est pourquoi la douleur ne cesse de nous tenailler le cœur.  Mais comme dit précédemment la douleur remplit un rôle fonctionnel, elle force l’inadapté à changer, et la mort, jusque là suspendue par un crin de cheval, s’abat sur celui qui n’obtempère pas.  Ces deux phénomènes combinés permettent la sélection naturelle qui favorise les plus performants.  Les désirs associés aux tourments sont le moteur, le moyen qui lance le mouvement de l’homme, qui l’obligent, le forcent à agir et à obtenir ce dont il a besoin pour vivre, pour être serein et paisible mais le monde est tel que les objectifs une fois atteints ne suffisent pas, il en faut toujours plus, la roue des désirs tourne sans fin et sans fins.  Ces désirs et ces souffrances ne sont pas la raison d’être de notre existence mais le chemin qu’elle prend.  Donc point de but dans la souffrance mais une des données de base du système qui forment la toile de fonds devant laquelle se joue la tragi-comédie de la vie.  Le vouloir vivre veut toujours la vie, et pousse les êtres vivants à assurer d’abord leur propre conservation, puis celle de l’espèce en procréant.  Car « seule compte l’espèce, pour la nature, l’individu n’est rien »[11].  La conservation de la nature organique et de quelques espèces particulières[12] voilà le but que la volonté poursuit, y faire obstacle après s’être engagé dans cette voie est un sûr moyen pour souffrir.  C’est sans doute pour cette raison qu’est associée aux affaires de l’amour la peine la plus grande que l’on peut éprouver en ce monde car l’échec d’une relation amoureuse empêche la procréation qui est la fin supérieure que poursuit l’effort incessant de la volonté.  Schopenhauer reconnaît dans La métaphysique de l’amour[13] que l’amour est l’affaire la plus importante de la vie car ce sont d’elle que dépendent les générations futures. Elle récompense celui qui poursuit avec succès cette fin par un plaisir fugace et insaisissable, c’est ainsi que Charles Baudelaire a écrit : « le plaisir vaporeux fuira vers l’horizon, ainsi qu’une sylphide au fonds de la coulisse »[14].  Mais c’est moins la promesse d’une récompense que la douleur et le désir qui nous tiraillent qui poussent à agir. 

Entre suivre les instincts qui sont l’expression intérieure de la volonté et l’abnégation que préconise Schopenhauer, le choix est malaisé.  Faire le tri entre les désirs qui résultent directement de la volonté de ceux qui ne sont qu’artifices provisoires de la raison n’est pas évident non plus.  Refuser les désirs et s’extraire totalement du monde à la manière de Bouddha qui, ayant atteint cette état d’indépendance face aux souffrances et aux désirs, a pu s’élever jusqu’au nirvana, s’extraire du  karma, reviendrait à un anéantissement, à un non vivre.  Choisir entre une vie pleine de souffrances et le néant, voilà une décision qui appartient à chacun.  Une chose est sûre la souffrance s’accompagne de plaisirs dont on ne peut avoir qu’un souvenir mais qui sont bien présents dans notre mémoire, il faut surmonter des obstacles qui une fois passés ne laissent aussi qu’un souvenir, la vie est dure, la douleur est sa compagne mais il est plus triste d’être néant dans le néant donc de ne pas être que de vivre dans de pareilles conditions. Il vaut mieux mourir maintenant que de n’avoir jamais existé.  Mieux vaut lésiner avec la vie, elle est unique plutôt que de mourir ou de retourner au néant pour une idée même si Camus a écrit que la seule façon d’être à la hauteur de l’idée c’est de mourir pour elle[15].



[1] Schopenhauer A., Douleurs du monde, trad. fr. J. Bourdeau, Paris, Rivage, 1990, p.27.

[2] Ibid, p.27.

[3] Ruyssen Th., Schopenhauer, Paris, Félix Alcan, 1911, p.290.

[4] Schopenhauer A., Le monde comme volonté et comme représentation, trad. fr. A. Burdeau, Paris, Presses universitaires de France, 2003, p.1337.

[5] Schopenhauer A., Douleurs du monde, p.30, op. cit..

[6] Schopenhauer A., Le monde comme volonté et comme représentation, p.206, op. cit..

[7] Ibid., p.210.

[8] Schopenhauer A., Le vouloir-vivre l’art et la sagesse, textes choisis par A. Dez, Paris, Presses universitaires de France, 1956, p.160.

[9] Schopenhauer A., Le monde comme volonté et comme représentation, p.210, op. cit..

[10] Schopenhauer A., Douleurs du monde, p.27, op. cit..

[11] Schopenhauer A., Le monde comme volonté et comme représentation, p.161, op. cit..

[12] Ibid., p.204.

[13] Ibid., p. 1285.

[14] Baudelaire C., L’horloge, in Les fleurs du mal, Paris, Le Livre de Poche, 1999, p.131.

[15] Camus A., Les justes, Paris, Gallimard, 1950, p.38.

Publicité
Publicité
Commentaires
L
Livres<br /> <br /> Ouvrages de Schopenhauer :<br /> <br /> SCHOPENHAUER A., Douleurs du monde, trad. fr. J. Bourdeau, Paris, Rivage, 1990. <br /> <br /> SCHOPENHAUER A., Le vouloir-vivre l’art et la sagesse, textes choisis par A. Dez, Paris, Presses universitaires de France, 1956. <br /> <br /> SCHOPENHAUER A., Le monde comme volonté et comme représentation, trad. fr. A. Burdeau, Paris, Presses universitaires de France, 2003. <br /> <br /> SCHOPENHAUER A., Essai sur le libre arbitre, trad. fr. S. Reinach, Paris, Rivage, 1990.<br /> <br /> Ouvrages sur Schopenhauer :<br /> <br /> PERNIN M.-J., SCHOPENHAUER le déchiffrement de l’énigme du monde, Paris, Bordas, 1992.<br /> <br /> RUYSSEN Th., Schopenhauer, Paris, Félix Alcan, 1911.<br /> <br /> ROGER A., Le vocabulaire de Schopenhauer, Paris, Ellipses-Marketing, 1999.<br /> <br /> Autres ouvrages :<br /> <br /> BAUDELAIRE C., Les fleurs du mal, Paris, Le Livre de Poche, 1999.<br /> <br /> CAMUS A., Les justes, Paris, Gallimard, 1950.<br /> <br /> Articles<br /> <br /> FRANÇOIS A., « La volonté chez Bergson et Schopenhauer », Methodos savoirs et textes, [en ligne], disponible sur , consulté le 24.12.2006.<br /> <br /> LEDURE Y., « Mort de Dieu et volonté de puissance », Le Portique : Revue de philosophie et de sciences humaines, [en ligne], disponible sur , consulté le 25.12.2006.<br /> <br /> RUBY C., « L’acquiescement dans le non vouloir », [en ligne], disponible sur , consulté le 25.12.2006.
Publicité