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BA1 2006-2007 travaux d'encyclo
5 février 2007

La conception humienne de la causalité et son rapport à la science.

La conception humienne de la causalité et son rapport à la science.

Pour introduire mes propos, je trouve nécessaire de clarifier la surface couverte par le sujet choisi ainsi que la méthode suivant laquelle le sujet se présentera : je pense que ce thème est très vaste et pourrait être l’objet d’une étude approfondie, tout comme l’ensemble des sujets comparant les domaines scientifiques et philosophiques. Mais de nombreux facteurs rendent une telle étude très complexe et surtout considérable. Notamment la « plurivocité » de la science dans le domaine de la physique qui peut s’appréhender à la fois de manière « classique » et de manière « quantique ». De ce fait, j’ai décidé de limiter mon étude en prenant comme assise, non pas la science, mais la pensée de Hume. C’est donc autour de la conception humienne de la causalité que s’orienteront certains éléments de la science, choisis en coordination  avec l’évolution de la démonstration de la conception de Hume. Cette dissertation ne prétend pas réaliser une comparaison globale de la théorie scientifique et de la notion humienne de la causalité. Elle essaiera, cela dit, de mettre en évidence les différences et similitudes entre les méthodes utilisées et les objectifs à remplir par ces deux domaines. C’est, au final, une confrontation de paradigmes plutôt qu’une comparaison de conclusions.

Avant de débuter l’étude proprement dite, je voudrais encore ajouter que j’ai trouvé intéressant de réaliser un tel rapport car Hume est un philosophe qui a mené ses pensées de manière tout à fait empiriste. Nous pouvons le considérer comme tel pour au moins deux raisons :

  • Lui-même considérait la philosophie comme une science empirique. Et Anthony Quinton[1] ira même jusqu’à écrire qu’il a eu pour ambition « d’être le Newton des sciences morales (ou humaines) »[2].
  • Il est également empiriste au sens plus familier. D’après lui, nos pensées n’ont de véritable contenu et nos paroles ne présentent un sens, que dans le cas où celles-ci sont connectées à des expériences.

Pour commencer, il me semble important de noter que Hume distinguait deux types de relations (toutefois, il introduira par la suite une autre division dichotomique).Celles-ci étant d’une part, les relations philosophiques et d’autre part, les relations non philosophiques. La seconde catégorie comprend l’ensemble des relations naturelles (différentes des idées que l’esprit établit librement par une décision mentale) qui s’établissent spontanément par le jeu de l’imagination associative et une sorte de coalescence involontaire. C’est dans cette seconde catégorie, qui peut se résumer par l’ensemble des choses que l’on connaît « a posteriori », que Hume plaçait la causalité. Mais cette notion de connaissance « a posteriori » reste ambiguë[3].

Pour lui, le statut de cause ou d’effet n’est pas une qualité des choses. Toutefois, pour Hume, la causalité existe sans aucun doute[4] ; elle est même la relation la plus résistante au doute, la plus persistante et la plus universelle. En effet, c’est une relation omniprésente et qui commande l’intelligibilité de tous les rapports de faits, phénomènes ou évènements.

Et elle n’est pas moins indispensable à l’histoire qu’à la physique : une même trame causale permettrait de descendre comme de remonter le cours du temps ; cette idée met en évidence l’importance indéniable de la connaissance de la relation causale, aussi bien pour l’historien que pour le physicien. Et en contrepartie, cela amène Hume à penser qu’il doit exister une nécessité analogue aux lois physiques et à la démarche scientifique de l’historien qu’il pourrait introduire dans sa conception philosophique de la causalité. Cela nous mène à établir un premier rapport entre la méthodologie philosophique humienne et la science ; à savoir, que toutes deux cherchent à établir des lois et principes suite à une démarche expérimentale reposant sur l’observation.

Dans un élan d’interprétation, j’ai imaginé que pour expliquer cette conception, nous pourrions envisager que ses caractéristiques (au nombre de trois) se classent en deux genres différents : tout d’abord, celles qui se placeraient dans une sorte d’ensemble comprenant les particularités purement objectives et ensuite, hors de cet ensemble, la caractéristique relevant entièrement de la subjectivité et qui représente un « ingrédient indispensable » à la notion de causalité. Cette caractéristique est la « connexion nécessaire ». Les deux caractéristiques de l’ensemble sont, quant à elles, la contiguïté spatio-temporelle et la succession. Effectivement, pour Hume, la cause doit être contiguë à son effet, à la fois dans l’espace et dans le temps ; dans le cas contraire, cette cause ne serait pas unique et une (ou plusieurs) autre(s) devrai(en)t s’y joindre pour réaliser l’effet. Hume démontre également que le fait selon lequel la cause précède toujours l’effet est inéluctable. Selon lui, si la cause et l’effet étaient contemporains l’un de l’autre, la conséquence qui surviendrait serait l’ « anéantissement total du temps »[5]. Pour ce dernier point, il précise que son argument peut sembler insuffisant pour le lecteur ; si cela est le cas, il demande de lui accorder la liberté de considérer les choses comme telles. Cela me semble être un exemple d’occurrence où nous pourrions affirmer que Hume se soucie peu de la connaissance scientifique emportant certitude. Considérant que ce point n’a que peu d’importance, il lui parait possible de passer du certain à l’incertain.

Alors que la succession et la contiguïté ne sont pas problématiques empiriquement parlant, la connexion nécessaire semble être générée par des considérations ou des interprétations (conscientes ou inconscientes) entièrement personnelles. Donc, lorsque nous étudions ce qui nous semble être un rapport de cause à effet, la question que nous pourrions nous poser serait « Pourquoi considérons nous qu’il en est ainsi ? » plutôt que « Pourquoi en est il ainsi ? ».

L’objectif de Hume, lorsqu’il étudiait la causalité, n’était pas d’établir une cosmologie ou de déboucher sur le domaine épistémologique, mais plutôt d’envisager une morale humaniste basée sur la compréhension de phénomènes psychologiques. Hume s’éloigne donc de la recherche scientifique de cette théorie causale. Il rend subjective la « connexion nécessaire » par son analyse de la relation de causalité, alors que nous pourrions considérer que la science la décrit comme un fait ou un phénomène objectif représentant le rapport entre la cause et son effet. Mais je pense que cette divergence provient du fait que l’objet d’étude de la science n’est pas le même que celui de la philosophie. Tout en utilisant le procédé, cher à la science, de l’expérimentation par l’observation, Hume nous prouve immanquablement cela. Ainsi, alors que le physicien, le biologiste ou tout autre « Homme de science » se posera la question « Comment … ? » ou encore « Par quel procédé… ? », le philosophe se demandera « Pourquoi… ? » ou « Pour quelle raison… ? »[6].

Après avoir clarifié l’ensemble des caractéristiques de la relation causale, Hume se posa deux questions[7] pour essayer de la rendre plus intelligible et plus précisément, pour tenter de comprendre cette idée de « nécessité » de l’existence d’une cause ainsi que la nature de l’inférence qui nous fait conclure que telles causes particulières doivent avoir tels effets particuliers. Hume déduira de ces interrogations l’idée que seule une impression due à notre imagination peut nous faire affirmer que tel effet est originaire de telle cause ou que telle cause engendrera tel effet ; analysons plus précisément ce deuxième cas : Cette impression, et donc, par extension, l’imagination qui la crée, dépend de notre mémoire des phénomènes expérimentés. Il émet ainsi l’idée que c’est un postulat empirique qui crée la présomption. De ce fait, l’impression, dépendant de la mémoire, crée une croyance en l’effet à venir. Cette croyance, qui est certainement le facteur le plus déterminant dans nos jugements inférentiels, est d’autant plus importante que notre impression est vive. Et la vivacité de l’impression dépend forcément de la ressemblance entre la situation actuelle et la situation passée. L’esprit imagine donc, par un principe d’association entre objets de la pensée, une relation causale. Mais d’après Hume, nous généralisons à tort, car la répétition qui souhaite générer ce qui semble être une conjonction constante, ne permet pas de créer une idée nouvelle. En effet, il paraît impossible de démontrer l’uniformité de la nature. Toutefois, cette fusion des images échappe complètement à la volonté ; elle est une pure construction de l’esprit qui, lui-même, agit comme si la nature était uniforme. Sur ce point, la pensée de Hume n’est pas tellement éloignée des théories scientifiques. Effectivement, tout en élaborant des principes pour expliquer le réel et la nature, la science a conscience que dans de nombreux cas, il existe une probabilité (aussi infime soit elle) d’irrégularité des faits attendus.

Pour terminer cette approche de la notion humienne de la causalité, j’aimerais faire référence à un passage précis de l’un de ses ouvrages : « la simple considération de deux actions ou de deux objets, si fortement reliés qu’ils soient, ne peut jamais nous donner la moindre idée d’un pouvoir ou d’une connexion entre eux, ensuite, que cette idée naît de la répétition de leur union, puis, que la répétition ne révèle ni ne cause rien dans les objets, mais exerce seulement une influence sur l’esprit par la transition coutumière qu’elle produit, et enfin, que, par suite, cette transition coutumière ne fait qu’un avec le pouvoir et la nécessité, lesquels sont, par conséquent, des qualités des perceptions, et non des objets, et sont intérieurement ressenties par l’âme, et non extérieurement perçues dans les corps »[8].

En conclusion, je pense que nous pouvons affirmer que les méthodes expérimentales de Hume sont proches de celles utilisées par la science. Le philosophe et la science ont également pour objectif commun d’établir des principes basés sur des faits observables. Toutefois, l’objet de l’étude de Hume étant différent, il semblerait qu’il n’accorde pas autant de rigueur à la démonstration que la science l’exigerait. A l’instar de la science, Hume a également développer une théorie de la probabilité éclairant l’étude des phénomènes. Celle-ci permet de comprendre l’irrégularité des faits. Mais la grande différence à propos de la causalité semble résider dans l’idée de « connexion nécessaire » : Hume l’étudie en profondeur alors que la science la prend comme un fait. Il semble résulter de cela le fait indéniable que la matière qu’étudie le philosophe porte sur l’interprétation humaine des phénomènes alors que la science tente d’étudier ces mêmes phénomènes de manière objective, et ce, sans tenir compte de l’influence que peut jouer la subjectivité de l’Homme dans la recherche.


(1) Anthony Quinton a présidé le Trinity College à Oxford, jusqu’en 1987 et est, depuis 1991, président de la Royal Institution of Philosophy.

([2] ) QUINTON Anthony, Hume, trad. fr. Christian Cler, Paris, Editions du Seuil, 2000, p. 27.

([3] ) Il semble avéré que pour Hume la connaissance « a posteriori » représente ce que l’esprit connaît après expérimentation et les phénomènes ne sont pas connus pour ce qu’ils sont mais pour ce que l’esprit croit qu’ils sont. La connaissance « a posteriori » n’a donc pas la même valeur que la connaissance « a priori ». Il est indispensable de comprendre ce terme dans la signification que Hume souhaite lui faire prendre.

([4]) Jusqu’au XXème siècle, la plupart des commentateurs ont allégué que Hume contestait la fiabilité des croyances causales et inductives. Bien que ces commentaires ne soient pas incohérents, ils ne représentent pas la pensée profonde de Hume.

([5]) HUME David, Traité de la nature humaine, livre I et appendice, L’Entendement, III, II, trad. fr. Philippe Beranger et Philippe Saltel, Paris, Flammarion, 1995, p. 136.

([6]) J’insiste sur le fait que cela représente une vulgarisation grossière de la réalité et qu’aucune des deux matières ne se réduit à cela. Mais j’utilise malgré tout ce procédé de distinction, dans le but de délimiter l’étendue couverte par leurs études.

([7]) Cf.  ibidem, p. 137.

([8]) Ibidem, I, III, XIV, p. 243.

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Commentaires
L
Livres :<br /> <br /> <br /> · HUME David, Traité de la nature humaine, livre 1 et appendice, L’Entendement, trad. fr. Philippe Beranger et Philippe Saltel, Paris, Flammarion, 1995.<br /> <br /> · LEROY André-Louis, David Hume, Paris, Presses Universitaires de France, 1953.<br /> <br /> · MALHERBE Michel, La philosophie empiriste de David Hume, Paris, Vrin, 2001.<br /> <br /> · MICHAUD Yves, Hume et la fin de la philosophie, Paris, Presses Universitaires de France, 1983.<br /> <br /> · PUCELLE Jean, Hume ou l’ambiguïté, Paris, Editions Seghers, 1969.<br /> <br /> · QUINTON Anthony, Hume, trad. fr. Christian Cler, Paris, Editions du Seuil, 2000.<br /> <br /> · SALTEL Philippe, Le vocabulaire de Hume, Paris, Ellipses, 1999.<br /> <br /> <br /> <br /> Articles :<br /> <br /> <br /> · BOUVERESSE Jacques, « Déterminisme et causalité », Les études philosophiques, 2001, vol. inconnu, n° 3, pp. 335-348.<br /> <br /> · JACOB André, et al. (éd.), « David Hume », in Encyclopédie philosophique universelle, III, Les œuvres philosophiques 1, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, pp. 1215-1217.<br /> <br /> · PATY Michel, « Interprétations et significations en physique quantique », Revue internationale de philosophie, 2000, vol. 54, n° 212, pp. 199-242.
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