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BA1 2006-2007 travaux d'encyclo
29 janvier 2007

La vision en tant que langage dans l’immatérialisme de Berkeley

La vision en tant que langage dans l’immatérialisme de Berkeley

George Berkeley est né le 12 mars 1685 à Kilcrene en Irlande. A quinze ans, il intègre le Trinity College de Dublin où il étudie les mathématiques, les langues, la logique et la philosophie. Il en sort avec une grande distinction. En 1710, Berkeley est ordonné diacre et commence à écrire des essais philosophiques. Il est consacré évêque à l’église Saint-Paul de Dublin et se consacre dès lors à la lutte contre la misère.

Berkeley fait partie de la famille des empiristes anglo-saxons du XVIIe et du XVIIIe siècle. Il invente l’immatérialisme, philosophie qui nie l’existence de la matière tout en affirmant la réalité des corps. Berkeley, grâce à l’immatérialisme, a pour but de réfuter les philosophes implicitement ou explicitement sceptiques, c’est-à-dire les philosophes dont le système implique que l’esprit ne peut être certain de l’existence du corps, puisqu’il ne percevrait rien d’autres que des idées. La reconnaissance de l’inexistence de la matière (immatérialisme) et de la réalité des corps (réalisme empirique) est donc pour lui la seule possibilité permettant cette réfutation.

Dans a théorie de l’immatérialisme, Berkeley donne une importance majeure à la perception. La citation la plus célèbre de l’irlandais étant d’ailleurs « esse est percipi aut percipere » (« être, c’est être perçu ou percevoir »). L’enjeu de ma recherche va donc porter sur un des aspects de la perception qui a chez Berkeley une valeur très importante : la vision. Je vais en effet traiter la question de la vision en tant que modèle linguistique dans l’immatérialisme de Berkeley.

Ce philosophe fait référence à ce sujet nottament dans son ouvrage La nouvelle théorie de la vision dans lequel il émet l’hypothèse selon laquelle les objets propres à la vision (lumières et couleurs) forment un langage universel de la nature1. Les propriétés spatiales des objets tangibles (figures, grandeur, distance, situation) sont perçus médiatement, c’est-à-dire à travers un jeu structuré de signes arbitraires.

Dans l’Alciphron, Euphranor définit d’ailleurs la vision selon des propriétés propres au langages : usage arbitraire de signes sensibles, dont l’agencement permet d’exprimer un nombre infini de signification et de mode de fonctionnement descriptif – elle rend compte d’un état des choses tangibles -, expressif – l’acte de langage révèle une locution divine- et conatif – pars le discours visuel, Dieu guide et oriente nos actions².

Le langage offre à Berkeley non seulement une comparaison pédagogique pour penser certains aspects du phénomène perceptif, mais aussi un authentique modèle, consubstantiel à la théorie de la vision, pouvant jouer un rôle polémique capital dans sa stratégie militante de l’immatérialisme.

Mais pour comprendre ces enjeux polémiques, il faut revenir aux théories classiques de la perception. Le modèle de Descartes, par exemple, s’apparentait à une représentation causale et projective de la vision, la lumière n’étant définie qu’en tant qu’une entité physico-mathématique. Il était parvenu cependant à conjuguer approche physico-mathématique et  approche subjective. Cette conjonction, ce symptôme ou « signe naturel », entetenait un double lien aux choses du monde : ontologiquement, un lien causal, et épistémologiquement, un lien de signification. Mais cette notion sémiotique restait subordonnée à la causalité.

(1)   BERKELEY George, La nouvelle théorie de la vision, 147, (1ère édition).

(2)   BERKELEY George, Alciphron, IV, 6.

Berkeley, lui, veut résorber le modèle causal de la perception au profit du seul modèle sémiotique. Comme le précise très bien Philippe Hamou, « à première lecture, la Théorie de la vision apparaît comme un texte dont l’ambition n’est pas tant de renverser la représentation classique de la perception que de la radicaliser »³.

Il estime qu’il faut pousser l’arbitraire beaucoup plus loin que ne l’avaient fait les classiques, le faire ressortir dans ce qui lie, lors d’une contemplation propre et immédiate, idées tangibles et visuelles, alors que celles-ci n’ont aucune ressemblance ni connexion nécessaire entre elles.

Berkeley souhaite dès lors avoir une phénoménologie exacte de l’objet propre et immédiat de la vision, objet malaisé à décrire dont il perçoit bien qu’il nous est donné qu’à travers la gangue du préjugé et des habitudes. Pour se mettre à distances de celles-ci, il sollicite des expériences de pensée qui nous permettent une prise de conscience qui modifierait notre perception, tel que l’entrelacement du visuel et du tangible dans nos expériences n’ait jamais eu lieu.

Cette introspection peut prouver le caractère arbitraire de cette liaison du tangible et du visuel, mais il est aussi nécessaire, pour comprendre cette liaison subjectivement vécue comme nécessaire, d’accomplir une phénoménologie de la vision intégrant une justification de ce qu’on pourrait appeler l’attitude naturelle du percevant.

C’est pour cela d’ailleurs que Berkeley sollicite le modèle du langage. L’apprentissage d’une langue est en effet le fruit d’une longue habitude, qui nécessite selon le philosophe l’association constante de deux simulations sensorielles (l’une qui fait signe, l’autre qui fait sens) dissemblables et qui a pour effet de créer une seconde nature. Ce phénomène purement psychologique procède de l’habitude et d’une certaine pente naturelle de l’imagination.

Les signes visuels ne ressemblent pas aux choses tangibles auxquelles ils nous préparent. C’est par l’expérience que nous avons appris à comprendre qu’ils possédaient en quelque sorte une signification tangible, la nature agissant comme le maître de langue, associant sans cesse le mot à la chose. On peut aussi finir par négliger les signes au profit du signifié, ce qui témoigne de l’étroitesse de cette fameuse connexion. Et il est intéressant de préciser l’universalité du langage visuel qui permet d’en préserver les signes « des contresens et ambigüités auxquels les langages d’invention humaine sont immanquablement sujets », mais encore une fois, elle contribue à masquer la nature arbitraire des signes visuels4.

Les arguments présentés jusqu’à présent montrent que le schéma causal et projectif ne trouve aucun support phénoménologique dans l’analyse de la perception. A cet égard, l’analogie linguistique est intervenue pour montrer comment une relation qu’une phénoménologie stricte révèle comme arbitraire peut se présenter subjectivement comme une relation nécessaire. On peut donc se demander si, à un niveau infraphénoménologique, une relation causale entre objets tangibles et percepts visuels peut exister.

Il convient de remarquer que, dans l’hypothèse causale traditionnelle, les signes visuels, quoique arbitraires et porteurs d’une signification empiriquement acquise, ne font pas à proprement parler un langage. Ils forment un ensemble de symptômes qui n’expriment pas une intention de signification, assumée par une volonté libre, mais se contente de trahir un état de fait, par lui-même dépourvu d’intelligence et de volonté expressive. En outre, ceux-ci, considérés en eux-mêmes, sont déconnectés les uns les autres et ne forment donc pas de système.

(3)   HAMOU Philippe, « Sens et fonction du modèle linguistique dans la Nouvelle théorie de la vision », in Berkeley. Langage de la perception et art de voir, BERLIOZ Dominique (éd.), et al., Paris, Presses universitaires de France, 2003, p. 59.

(4)   BERKELEY George,  La nouvelle théorie de la vision, 66

Berkeley était conscient qu’un langage authentique n’est pas n’importe quel système de signes arbitraires. Il le dira explicitement dans l’Alciphron : « Tous les signes ne constituent pas un langage […] la véritable nature du langage se constitue de l’articulation, de la combinaison, de la variété, de l’abondance, de l’usage extensif et généralisé alliés à une application facile des signes : toutes caractéristiques propres à la vision. »5

En suggérant dans toutes se analyses que la vision est structurée comme un véritable langage, un champ articulé de différences, Berkeley rendait concevable à son lecteur le fait qu’elle puisse être mise au service d’une intelligence capable de combiner des signes pour produire un sens, un discours. Un simple ensemble de symptômes ne ferait pas l’affaire pour cela. L’arbitraire acquiert désormais son sens plein : on peut le penser et non pas seulement comme absence de ressemblance du visuel et du tangible, mais comme le résultat d’un choix libre et intelligent.

En mettant l’accent sur la structure linguistique de l’apparence, la Théorie de la vision a donc donné a son lecteur le pouvoir de se libérer de l’emprise du schéma causal et projectif. Non seulement celui-ci n’est pas requis phénoménologiquement, mais il n’et pas requis non plus pour satisfaire l’économie théorique d’une explication scientifique de la conjonction du texte et du tangible. Ce faisant, la Théorie de la vision se présente très clairement comme un texte propédeutique de l’immatérialisme.

Commentaires de M. Timmermans :  + : - Sujet intéressant et original.

- : - Relâchement de l’orthographe dans la seconde partie

     - Attention aux références.

Résultat : 4/5

(5) BERKELEY George, Alciphron, IV, 12, P.158    (comm.. du prof: référence incomplète)

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Commentaires
L
(Je n’ai pas retapé toute ma bibliographie, mais j’en ai gardé les références les plus intéressantes d’un point de vue formel. J’espère que je n’ai pas fait de faute en les retranscrivant.)<br /> <br /> Commentaire de M. Timmermans : Parfait<br /> <br /> Résultat : 5/5
L
Indications bibliographiques<br /> <br /> <br /> <br /> BERKELEY George, Oeuvres, trad.fr. Dominique Berlioz, 4 vol., Paris, Presses universitaires de France, 1985-1996.<br /> <br /> BERKELEY George, Siris, trad.fr. Pierre Dubois, Paris, Vrin, 1971.<br /> <br /> BERKELEY George, Théorie de la connaissance humaine, trad.fr. Dominique Berlioz, Paris, Flammarion, 1993.<br /> <br /> BERLIOZ Dominique, Berkeley, Paris, Vrin, 2000.<br /> <br /> BERLIOZ Dominique (ed.), et al., Berkeley. Langage de la perception et art de voir, Paris, Presses universitaires de France, 2003.<br /> <br /> BURKARD Franz-Peter, KUNZMANN Peter, WIEDMANN Franz, « Empirisme IV / Berkeley », trad. Fr. Zoé Housez et Stéphane Robillard, in Atlas de la philosophie, rééd. Paris, Le livre de poche, 1993, p. 122-123.<br /> <br /> CHARLES Sébastien, Berkeley au siècle des Lumières. Immatérialisme et scepticisme au XVIIIe siècle, Paris, Vrin, 2003.<br /> <br /> DUBOIS Pierre, L’œuvre de Berkeley, Paris, Vrin, 1985.<br /> <br /> DEGREMONT Roselyne, Berkeley. L’idée de nature, Paris, Presses universitaires de France, 1995.<br /> <br /> FOGELIN Robert, Berkeley and the principles of human knowledge, London, Routledge, 2001.<br /> <br /> GLAUSER Richard, Berkeley et les philosophes du XVIIe siècle. Perception et scepticisme, Sprimont, Mardaga, 1999.<br /> <br /> KEMERLING Garth, « Berkeley’ Immaterialism » [en ligne], disponible sur , consulté le 28.12.2006.<br /> <br /> PITCHER George, « Berkeley on the perception of objects », Journal of the history of philosophy, 1986, vol. 24, p.99-105.<br /> <br /> VERGELY Bertrand, « Berkeley (George) », in Dictionnaire de la philosophie, Toulouse, éditions Milan, 1998, p.47-48.
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