Vers une éthique de l'environnement.
Décembre 2006
Jean CORNIL
1ère BA Philosophie
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Cours : Encyclopédie de la philosophie.
M. Benoît Timmermans.
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« Et si l’aventure humaine devait échouer » [1] : Tel est le titre d’un ouvrage publié par le naturaliste Théodore Monod en l’an 2000. Ce livre émet l’hypothèse d’une disparition de l’espèce humaine suite aux graves déséquilibres dans son rapport à la nature et suite aux capacités d’anéantissement de la planète par les armes nucléaires. L’altération, chaque jour plus inquiétante, des conditions de vie sur la terre nous conduit à redouter un destin apocalyptique pour l’humanité. A imaginer la catastrophe absolue. Même si « la catastrophe n’entrant pas dans le champ du possible avant qu’elle se réalise ne peut être anticipée. On ne se projette pas en elle.»[2] comme l’analyse Jean-Pierre Dupuy.
Edgar Morin, dans son étude des problèmes de première évidence qui concernent toutes les nations et toutes les civilisations – ce qu’il nomme l’agonie planétaire – met clairement en avant le péril écologique.[3] Et le géophysicien André Lebeau, en ouverture de son livre consacré à l’engrenage de la technique, affirme : « La transformation que connaît le système technique est le phénomène le plus gigantesque et le plus menaçant de tous ceux auxquels l’humanité a jamais été confrontée depuis ses origines. »[4] Au-delà de l’importance essentielle des tentatives de solutions politiques et économiques (croissance soutenable, développement durable, énergies renouvelables consommation alternative), telles qu’exprimées par exemple par le philosophe Dominique Bourg[5], c’est notre rapport au monde de la nature qu’il faut réinterroger. Face à ces enjeux vertigineux, l’époque requiert une nouvelle éthique.
« Le Prométhée définitivement déchaîné, auquel la science confère des forces jamais encore connues et l’économie son impulsion effrénée, réclame une éthique qui, par des entraves librement consenties, empêche le pouvoir de l’homme de devenir une malédiction pour lui. »[6] écrit Hans Jonas dans sa préface au Principe Responsabilité. Eclipse de la nature[7] et artificialisation du monde[8] qui commandent un nouveau rapport à ce qui nous environne et à nous-mêmes.
Une nouvelle relation à la nature qui pourrait s’exprimer, comme le conçoit Michel Serres, dans le cadre d’un contrat rééquilibré, une symbiose, entre l’homme et la nature, chacun rendant service à l’autre et assurant sa survie.[9] Aujourd’hui l’homme-parasite prend tout et ne rend rien. A l’inverse, ce contrat octroierait à la nature les qualités d’un sujet de droit, ce qui suppose que « la valeur suprême est la nature elle-même, c’est-à-dire la totalité des espèces vivantes ainsi que les milieux qui leur sont associés, autrement dit la biosphère. »[10]
C’est le principe de l’écologie profonde qui sacralise la nature, celle que François Ost appelle la nature-sujet[11] et selon laquelle « une chose est juste lorsqu’elle tend à préserver l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique. »[12] Cette thèse illustre le point de vue le plus radical qui peut conduire jusqu’à des situations absurdes : Luc Ferry raconte le procès intenté en 1587 contre une colonie de charançons, accusés de dévorer les vignobles.[13] Il n’en reste pas moins vrai qu’à l’inverse, le point de vue anthropocentrique, accompagné du rêve prométhéen de maîtriser totalement la nature, laissant derrière lui un monde désenchanté[14], tel qu’il s’exerce depuis des siècles, nous conduit à une crise si grave que Laurence Toubiana, directrice de l’Institut français du développement durable, déclarait que « le changement nécessaire est tellement profond qu’on se dit qu’il est inimaginable. »[15]
Mais, en plus de l’impérieuse nécessité de redéfinir fondamentalement notre rapport à la nature, la crise écologique dont nous commençons à ressentir les effets dramatiques me semble aussi commander un nouveau rapport à nous-mêmes. Dans l’analyse qu’elle effectue du concept de domination au travers des œuvres des philosophes de l’école de Francfort, Hélène Vedrine écrit : « La réconciliation de l’homme avec l’homme ne passe plus par un changement de système, mais par une attitude radicalement différente vis-à-vis de la nature, du travail, de la répression. »[16] Et Max Horkheimer et Theodor W. Adorno : « Toute tentative ayant pour but de briser la contrainte exercée par la nature en brisant cette nature n’aboutit qu’à une soumission plus grande au joug de celle-ci. »[17] La culture de la domination de la nature, au travers de la raison triomphante et de la toute puissance des techno-sciences, aboutit aussi à l’exploitation et à l’asservissement de l’homme. La déshumanisation des rapports humains est le reflet de la dégradation de la nature.
Puisse-t-on s’inspirer des convergences entre physique et éthique, comme chez les stoïciens, où « […] la rationalité de l’action humaine se fonde sur la rationalité de la Nature. »[18]
[1] MONOD Théodore, Et si l’aventure humaine devait échouer, Paris, Grasset, 2000.
[2] DUPUY Jean-Pierre, Pour un catastrophisme éclairé. Quand l’impossible est certain, Paris, Seuil, 2002, p. 162.
[3] MORIN Edgar, KERN Anne Brigitte, Terre-Patrie, Paris, Seuil, 1993, p. 76-79.
[4] LEBEAU André, L’engrenage de la technique, Paris, Gallimard, 2005, p. 11.
[5] BOURG Dominique, Les scénarios de l’écologie, Paris, Hachette, 1996.
[6] JONAS Hans, Le Principe Responsabilité, trad. Fr. Jean Greisch, Paris, les Editions du Cerf, 1990, p. 15.
[7] FINKIELKRAUT Alain, Nous autres, modernes, Paris, Ellipses, 2005, p. 305-314.
[8] GOLLAIN Françoise, Une critique du travail, Paris, La Découverte, 2000, p. 33-46.
[9] SERRES Michel, Petites chroniques du dimanche soir, Paris, Le Pommier, 2006, p. 30-33.
[10] BOURG Dominique, Les scénarios de l’écologie, op.cit., p. 34.
[11] OST François, La nature hors la loi, Paris, La Découverte, 1995, p. 145.
[12] LEOPOLD Aldo, Almanach d’un comté des sables, Paris, Aubier, 1995, cité par BOURG Dominique, op.cit., p. 39.
[13] FERRY Luc, Le nouvel ordre écologique. L’arbre, l’animal et l’homme, Paris, Grasset, 1992, p. 9.
[14] DELEAGE Jean-Paul, Une histoire de l’écologie, Paris, La Découverte, 1991, p. 25.
[15] TOUBIANA Laurence, entretien avec Laure Nowalhat, Libération, 29 mai 2006.
[16] VEDRINE Hélène, Les ruses de la raison. Pouvoir et pouvoirs, Paris, Petite Bibliothèque Payot, p. 122.
[17] HORKHEIMER Max, ADORNO Theodor W., La dialectique de la raison, trad. fr. Eliane Kaufholz, Paris, Gallimard, 1974, p. 30.
[18] HADOT Pierre, Qu’est-ce que la philosophie antique ?, Paris, Gallimard, 1995, p. 200.